mercredi 13 janvier 2010

Un roi sans divertissement de Jean Giono

Les livres de Jean Giono semblent toujours être de petits plaisirs discrets mais intenses.
La banalité apparente des personnages, cette France d’il n’y a pas si longtemps que ça mais quand même, rien de bien sensationnel à première vue.

Pour alterner avec les romans contemporains qui offrent une satisfaction aléatoire je me suis pris cet ouvrage en poche, pas cher, prends pas de place, pas non plus trop épais, parfait pour emporter sur soi. J’ouvre, je lis, c’est l’hiver, il fait froid, autant qu’en ce moment, c’est neigeux, c’est un peu glauque quand même.

Ça se concerte dans le village, il y a un arbre, un grand, du type qu’on voit de loin, pas toujours, mais quand même un peu même par temps de brouillard et puis Marie Chazottes qui disparaît. Et voilà bientôt que c’est le tour d’un autre, et il neige encore plus. On n’y voit rien sauf quelques pas qui se perdent dans la montagne. Oui parce que là on est en plein montagne, et y a pas grand monde qui peut y venir quand il y fait un temps pareil. C’est bien embêtant car on ose même plus sortir. Et puis encore une autre, la lumière encore allumée, sortie en chaussons, on trouve même pas le corps, mais alors ? …
Et c’est à ce moment que seul, j’ai posé le livre, scruté autour de moi et suis allé vérifier que ma porte était bien fermée à clé.

Peu d’ouvrages ont eu sur moi cet effet stressant malgré les tentatives d’auteurs mal inspirés de se lancer à 100% dans la rédaction de ce qu’ils veulent appeler thriller, alors que bien souvent il ne s’agit que d’un mixe de sang et d’inconnue sans queue ni tête. « Il faisait nuit, une nuit sombre. Il était tard, rien ne bougeait même pas le chien de Tombstoners de la ferme d’à côté. Tout à coup derrière moi j’entendis le porte extérieur de la cuisine s’ouvrir, pourtant seul John avait les clés … »
C’est bien souvent la qualité littéraire, la description et l’ambiance qui font défaut. Ici tout est présent. Ne vous y méprenez pas il ne s’agit pas d’un roman à enquête ou policier. Le voile sur le meurtrier tombe bien avant la fin. En revanche notre héros se dévoile au fur et à mesure des pages pour s’effacer dans une nappe de fumée, de fumée de cigare même.

Ce personnage, gendarme effervescent puis qui s’enfouit dans une sorte de retraite est le roi de cet ouvrage. Je ne vous en dis plus car Jean Giono sait avec saveur comment inspirer son lecteur sans pour autant le mettre sur la voie, c’est cela la grande littérature. Si l’on veut imposer exactement à son lecteur ce qu’il doit penser, quelles images il doit se représenter autant faire un film à la Lars Van Trier (qui se vante pitoyablement de vouloir maîtriser les sentiments qu’il inspire à son spectateur). Bien entendu le sentiment naît de la lecture, de la contemplation ou du visionnage de l’œuvre qui est elle-même le fruit de l’auteur, mais le plaisir de lecture (et de toute appréhension d’œuvre artistique) réside aussi en partie dans le degré d’imagination qui est laissé au lecteur. Même un Rastignac, ne sera pas dessiné de la même façon par vous et par moi, et pourtant ce n’est pas Balzac qui fait les plus légères descriptions de la littérature.
La force de cette ouvrage réside sans doute dans cette liberté, cette liberté de lecture, ce non jugement du narrateur, ou plutôt des narrateurs.

L’inconnu c’est le thème du livre : comment connaître ce meurtrier invisible, comment connaître cet homme qui n’est pas du village ? Car il est vrai que dans ce village, on connaît tout, les choses ne changent pas sauf la nature et les saisons, il n’y vient rien de nouveau un peu comme dans un monde perdu. Auteur féru de nos campagnes Giono en plus d’avoir offert un récit intriguant et plein de poésie laisse une trace historique touchante de ce qu’était la vie dans un petit village du siècle dernier. Restent à savoir si les vagues de froid que nous traversons font enfanter de si terribles histoires …
A lire sans hésitation au coin du feu un soir d’hiver de préférence.

1 commentaire:

Dead Man Walking... Le cancer de Jack a dit…

"Un roi sans divertissement... est le plus misérable des êtres". C'est cette sentence de Pascal qui est la base de l'histoire de Giono. Il a écrit ce livre après la période de la guerre. Lui si prest à décrire la nature, notamment la joie solaire du sud de la france, a perdu foi en l'homme d'où la viscissitude de cette immense arbre noir.

Après la traque & avoir trouvé ce bourgeois tranquille qui a basculé dans l'ignoble. On se demande ce que le héros & lui se sont dit, le pourquoi de l'horrible ?!

La vieille le comprendra trop tard : l'ennui de la routine qui bouffe un homme à la recherche d'aventures & qui n'aura de cesse de théaraliser sa vie pour ne pas dépérir. Dans "un Singe en Hiver", Gabin révèlera que "la routine, c'est le meilleur moyen de mourrir sur place". Alors pour lutter, on met un peu de vie dans son art et un d'art dans sa vie. Ou à défaut, un baton de dynamite...