vendredi 17 février 2017

Bonnes lectures : Ronce-Rose (Chevillard) et Province (Millet)

Il est assez rare pour être mentionné de commencer l’année par la lecture de deux romans contemporains de qualité. Je ne refais pas le match du niveau littéraire de la production française aujourd’hui, mais, même si des auteurs sont appréciés, bien vendus et font un travail très correct on ne peut pas toujours parler de littérature. Pour éviter de parler de ce qu’est la littérature et de ce qu'elle doit être, rentrons dans le vif de ces deux publications. Mes coups de cœur de ce début d’année pour parler comme un journaliste digne d’être publiée dans les grands magazines de critiques littéraires comme Elle ou Femme Actuelle ne sont autres (je continue dans le style journalistique du temps, publiable) que le derniers romans d’Éric Chevillard et de Richard Millet.  

INTERRUPTION : vous êtes viré, non mais, ce n’est pas parce que vous pensez être au niveau de l’abaissement culturel que nous proposons chaque semaine à nos lecteurs de ELLE et autres joyaux de la presse que vous pouvez vous permettre de tels écarts. Éric Chevillard mais on n’y comprend rien, il n’écrit sur rien mais ça pourrait encore passer si Minuit nous arrose. Mais Richard Millet, comment osez-vous mentionner son nom, un homme qui fait l’apologie du terrorisme catholique et blanc et qui s’habille si simplement.

C’est une réponse virtuelle mais tout à fait vraisemblable hélas si je devais écrire pour cette presse et écrire sur le sujet. La « culture » capitaliste de masse a ses têtes qui font vendre et qui ne font surtout pas réfléchir. Et quand on ne réfléchit pas l’on peut très vite s’arrêter au premier degré et partir dans des faux sens qui nous feraient décapiter un saint homme. INTERRUPTION : vous voyez je le savais, "saint homme", vous êtes un extrémiste religieux catholique, raciste, et aller jamais deux sans trois, homophobe je suis sûr.

Bon mais rassurez-vous je n’écris que sur ce blog lu plus par un nombre certain qu’un certain nombre d’amis et qui le font plus par sympathie ou ennui profond au travail que par réel intérêt. Appelons donc cela un billet inoffensif, qui en restera là.

Pourquoi mettre Éric Chevillard et Richard Millet ensemble dans cet article ? Autant pour leurs différences que pour la qualité littéraire qui se dégage de leurs œuvres. Le premier, qui a une certaine renommée, écrit en effet parfois des livres sur peu de choses. Du hérisson, l’auteur face à une page blanche perturbé par la présence incongrue d’un hérisson, l’Auteur et moi, une erreur de service dans un restaurant et un homme flanqué d’un terrorisant gratin de chou-fleur alors qu’il voulait une truite aux amandes, homme qui s’égare ensutie dans une note en bas de page de 80 pages à la poursuite d’une fourmi. En effet, le pitch ne paraît pas particulièrement brioché et pourtant c’est divin. C’est extrêmement poétique et peut générer une palette d’émotions improbables chez le lecteur. Chaque mot est pesé, rien de trop, un travail de la langue comme l’extraction d’un arôme pratiqué Yannick Alléno. Ceux qui veulent rentrer dans le vif du sujet sans se ménager pourront essayer Palafox, ou ceux qui ne souhaitent que de la poésie se régaler de la Nébuleuse du Crab.
Ronce Rose, le petit dernier (ahah j’y suis) est paru le 3 janvier, pile poil (je continue d’espérer être au niveau) pour un bon début d’année et raconte, oui raconte tout de même quelque chose, la parcours d’un enfant. Ce livre est sans doute plus abordable que d’autres car il offre une analyse de la vision du monde par l’enfant. Il est de fait extrêmement tendre et poétique et il nous embarque. Je le recommande vivement car il pourra plaire même à certains lecteurs peu enclin à se faire bousculer dans leurs habitudes littéraires et qui en général se satisfont d’une bonne intrigue un point c’est tout. Attention nous ne sommes pas dans du roman de gare pour autant et certains passages pour les non-initiés vont paraître quand même étranges et mieux, absurdes. Ce peut être un roman destiné à un public plus large que d’habitude. Éric Chevillard n’en perd pas pour autant (je continue) sa poésie. C’est un livre qui fait sourire, qui fait se sentir bien et qui enchante de par sa qualité.

Auparavant j’avais lu Province de Richard Millet, plaisir différent mais tout aussi intense. Style, ton, sujet et volonté très loin de ceux de Chevillard. Nous sommes ici dans le récit moins abstrait et avec une approche légèrement plus classique. Mais quelle écriture, c’est très très bien écrit et cela sert réellement le récit. Les premières pages qui ne plongent tout de même pas dans le pur descriptif peuvent faire légèrement peur aux novices, mais par après la langue sublime les émotions et les sentiments. Suivre Mambre, personnage sans doute miroir d’une partie de l’auteur, revenir en province est extrêmement intriguant du fait de la position du narrateur qui est à la fois partie prenante mais non actif directement dans l’histoire. Cette prise de distance qui permet d’avoir un regard doté de capacité de jugement mais qui n’en abuse pas fonctionne très bien et laisse le trouble concernant la véracité des propos rapportés, évoquant la question du subjectif dans le traitement narratif. Nous sommes dans les « on-dit », on rapporte des ragots sur des liens, mais sans savoir à 100%, et des fois si, l’on sait mais on ne dit pas. 

Richard Millet arrive à décrire les sentiments humains tels qu’ils s’expriment plus souvent hors des grandes villes, dans des campagnes où le cadre a une influence beaucoup plus grande que ne le réalisent les habitants sur les faits et gestes. Quelques fois la patte de Jean Giono est proche. C’est un voyage tellement pertinent et précis quant à la description des sentiments humains que cela peut sembler anodin au premier abord, mais ce n’est pas un livre inoffensif. Il n’est clairement pas un auteur anecdotique dans ses propos et n’hésite pas à bousculer les perceptions comme j’en vécus l’expérience lors de la lecture de la Confession Négative. Province est un livre très important dans la compréhension sociologique des mentalités de nos sociétés, tout comme les livres de Balzac pouvaient l’être (et le sont encore en ce qui concerne la compréhension de la nature humaine).
  
Les hommes politiques feraient bien d’avoir de telles lectures et de tirer parti des génies de la langue française que nous avons encore, mais me direz-vous encore faudrait-ils qu’ils s’intéressent à l’autre,  c’est un autre débat ou qu’ils lisent notamment les prix Nobels dont il parle, mais ça c’est tirer sur une ambulance (j’y suis presque).
Pour en revenir au sujet, LA bonne nouvelle nous avons encore plusieurs auteurs qui sont des génies ou défenseurs de la langue française (Chevillard, Millet, Michon, Jourde …), la mauvaise ils sont dilués, cachés par la masse médiocre et pour certains vilipendés car jalousés.