dimanche 31 août 2008

Soyez gentils, rembobinez

En effet on pourrait croire à première vue que cet article c'est du réchauffé, que j'aurais pu me bouger et l'écrire à la sortie du film. Sauf que ce film sorti il y a plus de six mois au pays aux 40 médailles quand même bien sympa, n'est sorti que très récemment dans mon plat pays d'accueil. A croire que la date de sortie des films est déterminée en fonction du nombre de médailles aux JO. On n'est pas sorti.
Toujours est-il que Michel Gondry mérite un bel hommage, même si on ne va pas déjà le mettre au musée Grévin. Peu de personnes connaissent son nom, mais son oeuvre s'impose de plus en plus comme celle d'un des derniers réalisateurs poètes. Evidemment on est loin de l'imposante trajectoire commerciale d'un Christopher Nolan qui parvient à passer d'un Insomnia à un Batman, avec succès d'ailleurs, mais Michel Gondry fait partie de ces réalisateurs, véritables artistes à haute sensibilité, un peu comme les nouveaux reflex numériques pouvant travailler à 6400 ISO sans aucun bruit. Eternal sunshine of the spotless mind avait subjugué par sa finesse mêlée d'un environnement surréaliste plus que de science-fiction. C'était en quelque sorte un essai amoureux, amoureux de l'amour en soi, de l'amour de l'homme, d'un amour qui malgré tout dépasserait les données scientifiques qu'on peut y attribuer et qui traverserait même les mémoires. Naïf ? Et pourquoi pas ?
Avec Be kind, Rewind, adage bien connu des loueurs de cassettes invétérés anglo-saxons, c'est l'amour de la spontanéité qui est décrit. Spontanéité et vérité des sentiments. Le pitch du film pourrait pourtant convaincre le spectateur qu'il s'agit d'un film loufoque. Deux jeunes qui ayant effacé par malchance surréaliste les bandes vidéos d'un loueur sexagénaire s'attèlent pour sauver le magasin à faire leur propre version des rares films qui leur sont demandés comme Ghostbusters, Rush Hour.
Certes on nage dans un certain délire, mais un délire métaphorique et très sensible. Petit bémol, le film s'enchaîne parfois un peu vite et on a du mal à comprendre et à appréhender tous les traits d'humour qui y sont présents. J'en aurais voulu un peu plus.
Le rire qui se généralise dans la salle est vite dépassé par un émerveillement. On a envie d'y croire. Pas besoin d'avoir 120 millions de budget pour plaire, mais au contraire un peu plus de simplicité et de rêverie ne ferait pas de mal.
Je vantais les mérites du dernier Batman qui finalement, en se servant de personnages imaginaires capte un état d'humeur très réel et terrifiant. Ici c'est l'opposé, le film en tant que tel, ainsi que son sujet, veut défendre la détente, la rêverie qu'offre le cinéma. Le fait magique d'être capable de raconter une histoire au plus grand nombre et tant pis si faute de moyens une cervelle explosée par balle se traduit par une pizza margharita glissée sous la tête de l'apprenti acteur. A-t-on réellement besoin de certifier, alors que le plus souvent les personnages sont irréels, ou simplement de signifier avec beauté. Un clavier de piano ne serait-il pas que le jeu d'entrelacement des mains de blancs et de noirs cachés dans une grande boîte. Merci beaucoup pour ce moment d'apaisement et de joie de vivre, simple et touchant. A voir pour sortir de la grisaille ambiante. Un vrai éclat de fraîcheur servi par un Jack Black disjoncté.

vendredi 1 août 2008

L’anarchisme apocalyptique pour grand public

Voir un Batman s’annonce toujours comme une bonne aventure même s’il y eut quelques déceptions par le passé.
Tim Burton avait mis le bar très haut dans un style poético-gothique qui lui est propre et je ne pensais pas qu’on puisse me faire oublier la prestation de Jack Nicholson en Joker. Il est vrai que j’avais quelques années de moins en 1989 et que ce sourire dément m’avait effrayé. Alors quand on m’a dit, viens, c’est Batman contre Joker, je m’attendais à voir comme une sorte de remake avec plus d’effets spéciaux. D’ailleurs pour les effets et les techniques cinés c’est très bien fait.
Dès les premières images on comprend mieux que du budget il en a fallu. Mais Christopher Nolan ne se réfugie pas derrière de la synthèse ou de la pyrotechnique pour mettre une grosse claque au spectateur. Les mouvements de caméra sont très fluides et dynamiques mais arrivent tout de même à se poser (du moins avant le final) afin de dépeindre certaines émotions, parfois avec finesse. Pour résumer c’est un bon film, même très bon pour certaines choses. Je conseille vivement d’aller le voir même si ce n’est pas un film d’été type. On est bien loin de la légèreté de l’adaptation de certains comics. Il s’agit bel et bien d’un film noir, que l’on pourrait comparer aux films noirs de yakusas avec en plus un personnage exceptionnel et profondément immoral.
Le Joker est subjuguant. L’apparence tout d’abord, ce visage au maquillage ébranlé donne le ton. Il ne s’agit pas ici d’un méchant classique qu’on appréhende facilement et que l’on met dans la case des fous et c’est ce qui est le plus gênant au fur et à mesure que les rencontres entre les deux héros se multiplient. Il y a quelques scènes « marrantes » en effet mais ce n’est pas ce qui transparaît à l’inverse de celui de Tim Burton. On est au-delà de ça.
Le Joker est ici un véritable fléau, un virus qui veut bouger l’équilibre établi. Je n’irai pas dire que le personnage incarne un anarchiste pur comme ceux que l’on trouve dans la littérature classique tel Souvarine, car aucune idée de futur n’est évoquée ici mais un serviteur du Chaos en quelque sorte. Et ça n’arrête pas, de surprises en mauvaises surprises pour la Bat family, les expériences humaines imposées par le Joker se succèdent et on a du mal à croire que le réalisateur ne les ait pas voulu plus fructueuses et sans lueur d’espoir. La production a sans doute mis un gros bémol devant tant de mal affiché, cette gangrène semblant inarrêtable et a insufflé un soupçon d’héroïsme et de courage à des personnes lambda, pour que le spectateur ne sorte pas totalement déprimé de là.
En pleine ferveur du Patriot Act, il est intriguant de voir la capacité des Etats-Unis à soulever leurs problèmes avec pertinence mais à ne pas les traiter par la suite. Cette gangrène du Joker on peut la retrouver bien entendu dans l’attentat du 11 septembre mais aussi dans les phénomènes de tueries estudiantines qui se succèdent et qui surgissent en tout point comme une fatalité inaltérable. Et la foule hurlante voulant la peau du héros est une image peu reluisante des institutions américaines qui s’inscrivent dans la lignée du Maccartisme aveugle. Qui est le plus horrible, le joker duquel on ne peut rien attendre, le peuple qui finalement veut à tout prix sauver sa peau et qui n’hésite pas à méconnaître et lapider son plus grand défenseur, ou Batman qui ne dérogeant pas à ses valeurs propres est trop indulgent et naïf.
Ce film est donc particulièrement pessimiste pour un film hollywoodien, il est bien difficile de dire que le bien triomphe. Doit-on y voir le reflet d’un changement profond de société, une tentative de prise de conscience ou comme bien souvent outre-Atlantique un coup dans l’eau qui sera pris au premier degré et qui ne sera encensé que pour ses images spectaculaires et par le fait qu’il s’agit d’un film posthume pour un Heath Ledger largement oscarisable ? Un film remarquable par sa noirceur. Tout de même une nuance, le rythme de la dernière heure extrêmement soutenu est parfois à la limite du soutenable, mieux vaut y aller préparé et en forme.