mercredi 4 février 2009

Terre des paysans, pays perdu ou avenir opportun ?

Le monde semble explorer de nouvelles options même s’il est trop tôt pour en être certain. Les incohérences finissent par créer une absurdité de vie, travailler pour gagner moins n’est pas sexy et ne semble pas supportable devant la paupérisation des masses de nos pays où nous nous vantions d’avoir une réelle classe moyenne à la différence des pays en voie de développement.
Dans ce cadre une intervention de Jean-Pierre Coffe a pris tout son sens. Publiant un ouvrage sur comment manger pour 9€ par jour, qu’on n’aura pas réellement osé taxer d’opportunisme dans l’émission de Ruquier, il fit référence une nouvelle fois au produit, mettant en avant les qualités tant nutritives qu’économiques de la cuisine que l’on fait soi-même. Et lui de fustiger les produits frigorifiés, coûteux en transport en opposition à la possibilité de redévelopper des zones maraîchères en bordure de ville. Pas bête.
D’autant plus si on met en relation la hausse artificielle (non perçue par les producteurs) des prix des fruits et légumes dans les grandes surfaces ainsi que la baisse de leurs qualités gustatives et nutritives. Il faut évidemment du temps pour faire cela, pour cultiver, organiser des marchés, s’y rendre, mais ce n’est pas impossible. D’un point de vue économique l’agriculteur de proximité pourrait être revalorisé et toucher un bénéfice plus grand et direct de ses efforts. Ne nous leurrons pas, la vie d’agriculteur est difficile, et la tendance à la concentration des surfaces agricoles n’est pas finie. La profession d’agriculteur ne rencontre plus beaucoup d’amateurs aujourd’hui. Et pourtant, on classe des vieilles pierres pour les protéger et bon nombre d’anciens agriculteurs, derniers défenseurs des bons produits sans être dans les produits d’exceptions rares et chars, mériteraient plus.
C’est en quelque sorte ce qu’a fait Raymond Depardon, les « classer » par ses images. Son ouvrage la Terre des Paysans, brillant pas sa poésie philosophique et lunaire est le résumé de son œuvre consacrée au monde rural. Depardon grâce à son obstination à photographier ou filmer la réalité de ces personnages aux abords durs et secs, a su percer l’écorce et nous dévoiler leur réalité simple et profonde. Tout le monde peut photographier une ferme, mais y capturer l’âme qui s’y ballade c’est une autre affaire. Sans doute ses parents agriculteurs lui ont permis d’avoir cette empathie nécessaire à l’égard de ces durs travailleurs, plus habitués à converser avec la nature qu’avec un journaliste. Le résultat est touchant. Les quelques phrases et dialogues cités sont dignes des plus profonds haïkus, c’est une réelle philosophie de la terre, une philosophie ayant perdu tous ses beaux habits pour ne garder plus que l’essence. Quoi de plus dur que de toucher à l’absolu en seulement quelques mots anodins.
Devant cette beauté, souvent triste comme la résignation, pourtant privée de jugement et de pessimisme excessif, il est bien dur de se relever. Des œuvres d’art vivantes, tellement en communion avec la nature qu’elles en ont compris la raison d’être.
Pays perdu, ouvrage court et magistral de Pierre Jourde m’a aussi fait ressentir ce côté absolu. Un héritier parti à la ville retourne dans son pays ancien pour en assurer la succession d’un point de vue administratif et le voilà témoin des derniers des paysans. Roman émouvant et magnifique qui donne tant de noblesse et de vérité à ces personnes, en évitant le piège de les idéaliser.
Evidemment, et ils l’acceptent, le monde a changé, les repreneurs se font rares, et puis comme le disent certaines, à l’usine on a pas peur d’une mauvaise saison ou d’un coup de gel, le salaire tombe tous les mois et on a les commodités et le week-end … Le monde a happé les héritiers de ces personnes vraies, mais pour quoi ? La crise aujourd’hui pourrait redistribuer des cartes, est-ce trop tard ? je ne l’espère pas.
Comment parvenir à une amélioration de la qualité de la nutrition alors que le pouvoir d’achat baisse et en même temps préserver notre histoire rurale ? Ca ne se fait pas en un tour de baguette magique, mais ça se planifie, ça se calcule, ça se légifère même. Autoriser les cultures en bordure de ville, mise à disposition de terrains communaux aux familles dont un ou deux sont au chômage, mise à disposition gratuite à ces personnes d’emplacements au centre des villes et en bordure avec des horaires souples, soirée et matinée, surtaxe des produits aux faibles valeurs nutritives et saturés en graisse, sucre et sel. On taxe bien l’alcool et les cigarettes sous couvert de leur dangerosité, faisons de même avec tous les fast-foods et les plats cuisinés. Tout ça avec comme but l’amélioration de la qualité des aliments proposés en contrecarrant la possible baisse du pouvoir d’achat due à la crise C’est une piste de réflexion parmi d’autres, qui pourrait pourquoi pas régler plusieurs problèmes pour le prix d’un. Ce repeuplement possible des campagnes et des fermes aurait aussi une influence positive sur les chiffres du chômage et sans doute sur les dépenses de la sécurité sociale en envisageant que les gens soient dans des meilleures conditions de vie.
On peut facilement m’objecter certains problèmes inhérents comme une désertion de grandes surfaces créant de nouvelles suppressions de poste, il est vrai et cela vaut la peine d’être étudié et calculé. Mais si cette crise nous fait sortir des cette consommation totale, ces distributeurs auront moins de raison d’être et ces personnes pourraient se reconvertir sur des marchés publics permanents, rien n’est fixé mais nous devons essayer.
Si certains retournent à la terre il est certain qu’on travaillera plus, pour gagner plus certainement pas, mais pour vivre mieux, certainement. Croisons les doigts pour que cette année nous offre cette opportunité, car n’oublions pas que dans nos campagnes, la plupart des vues valent tous les écrans plats du monde.