vendredi 6 mars 2020

Marre des censeurs

Alors me voici à écrire un coup de gueule. Coup de gueule large et de fait un peu approximatif (désolé ça fait longtemps et j’ai l’écriture rouillée) sur notre société et sur un phénomène que je vais appeler l’obscurantisme et totalitarisme des minorités dominantes sous couvert d’une éthique variable.

Si je devais publier ce texte sur Facebook ou similaire il me faudrait prendre des milliards de précautions pour ne pas me faire insulter, traiter d’amateur de pédophilie, de machiste, de raciste etc … La liste serait longue car ce contre quoi j’écris aujourd’hui ce sont bien tous les groupes de défense qui abusent de leur droit à protéger ou à développer les droits des minorités en versant dans l’excès et dans la censure. Il me paraît clair que nous sommes dans une période d’obscurantisme. Le sujet d’identifier le pourquoi n’est pas mon propos mais en simplifiant ma réflexion je peux avancer qu’un des accélérateurs (ou initiateur) est le phénomène des réseaux numériques sur internet où l’on voit des propos qui certes existaient peut-être auparavant mais qui étaient confinés aux comptoirs de certains bars ou dans des lieux privés et qui n’avaient aucun écho. Tout comme inversement des évènements n’étaient connus que de peu de monde et donc l’indignation était moins répandue et ne s’auto-entretenait pas comme aujourd’hui où des discussions souffrent d’une émulation intrinsèque consanguine. Les réseaux sociaux faisant voir ce que vous avez le plus de chance d’aimer. Ainsi on peut croire en fonction que tout le monde est devenu écolo du jour au lendemain ou que tel candidat a des chances de victoires aux prochaines élections alors qu’il n’en est rien.

Cela fait un bon moment que je déplore la mort de la nuance et la déliquescence de notre langage, voir mon post du 23 août 2012. Hélas les choses ne se sont pas améliorées et nous nageons dans un monde sur-médiatisant les caricatures d’opinions les plus simplistes. Les pensées complexes sont condamnées à être résumées par des hashtags courts et réducteurs, les plus actifs commentateurs des réseaux ne lisent plus que les mots en gras et même certains experts ou penseurs qui ont pignon sur rue se contentent de lire l’introduction et les dernières pages d’un livre, sans pour autant n’avoir aucune honte à le vilipender et à le condamner fermement (cf. critique du livre Libre d’obéir par Olivier Sibony qui n’a pas pu lire et écrire cette critique Non les managers ne sont pas des nazis !, pas possible, ou sinon il a été frappé de débilité analytique absolue). 

Maintenant c’est blanc ou c’est noir, si j’émets des réserves (sans même être forcément contre) sur la GPA je suis forcément homophobe, si j’émets une critique sur une actrice qui s’insurge en pleine remise d’un prix cinématographique je soutiens la pédophilie. Le but n’est pas ici de revenir sur des évènements précis mais plutôt sur cette tendance de fond qui m’insupporte. Le tribunal médiatique semble aujourd’hui prendre bien plus d’importance que notre justice, comme si nous oublions que c’est cette justice qui créé le fondement de notre société et est malgré ses imperfections garante de notre pacte social. Déclarer a priori coupable tout un chacun sous le joug d’une accusation dans la presse (qu’il y ait plainte ou non) est nier le principe même de jugement et de présomption d’innocence, et ne parlons même pas de la notion de seconde chance qui représente un tout autre débat mais qui est condamnée d’avance. C’est à qui dégainera le plus vite sur internet et aura le plus de « like ». A ce jeu-là les groupes organisés défendant des minorités sont parfois facilement gagnants car ils jouent sur l’indignation : «  non mais regardez ce gars dont plein de gens disent qu’il a commis des actes pédophiles (ça marche aussi avec raciste ou d’autres) qui reçoit le prix XY pour son livre, c’est une honte, il faut boycotter ». C’est ce qui marche et ça paraît imparable. Attention je ne dis pas que ce monsieur n’est pas condamnable, mais je dis bien qu’on ne peut se permettre sous peine de vivre sous un dictat totalitaire d’une certaine bien-pensance d’adhérer à ces invocations qui font penser aux heures les plus sombres de l’histoire. La dénonciation et l’indignation vont bon train, ça fait du clic, donc ça fait du buzz, du revenu Google donc c’est ce qu’il faut. 
Dans un courrier à Mediapart j’ai expliqué pourquoi après de nombreuses années je ne pouvais que me désolidariser et me désabonner. Alors que j’avais apprécié cette initiative de presse la plus indépendante possible et les dossiers d’investigation et de fonds j’ai vu pulluler en une depuis plusieurs mois des articles à charge sans analyse approfondie, sans base d’étude représentative, ne pouvant, vu la façon dont les articles étaient agencés, les mots choisis et le larmoyant de certains témoignages à sens unique, laisser aucune chance de salut à l’accusé. Tout cela dans la plupart des cas alors qu’aucune plainte n’était même déposée, comme si l’on revenait au temps des « justices expéditives » guerrières. Ils ont voulu surfer sur une vague qui doit vendre (enfin faire du clic) le mouvement metoo. C’est le truc du moment, et on s’insurge et on pousse à la censure. J’avoue avoir été étonné de la surprise de l’ensemble des media, surprise bien entendue feinte mais gobée par le public, comme si le « il faut coucher pour réussir dans le cinéma » n’était qu’une blague. Cela n’enlève rien au condamnable du fait. Ainsi pouvoir travailler dans ce milieu sans voir sa personne abusée est bien entendu essentiel, comme dans tout secteur et mérite une mobilisation. Mais voilà comme il s’agissait de stars Mediapart préférait parler d’un cas plutôt que de rechercher dans le monde ouvrier si c’était pareil ou pire. C’est plus facile et plus vendeur de parler d’abus sexuel quand la fille est plutôt jolie et a un poids médiatique que quand c’est une personne qui a beaucoup de poids mais non médiatique, et sans s’en rendre compte Mediapart  fait de la discrimination négative et du sexisme.

Aujourd’hui les titres de presse qui se succèdent parlent donc de Polanski, cet infâme violeur célébré par une caste machiste au pouvoir du cinéma français, des 90% de femmes qui disent s’être fait violer, et en parallèle d’autres parlent de la libération des femmes dans leur couple et du fait qu’il est bon pour elle d’aller voir ailleurs et de coucher avec d’autres personnes en plein mariage (Le Monde). Sans doute que pour moi cette journée (semaine du féminisme) tombe mal. Moi qui suis un homme (aie ça commence mal, donc forcément je ne peux pas comprendre ce que traverse une femme), de type caucasien (oulala), hétérosexuel (oui on dirait que je le fais exprès), avec un IMC en léger surpoids mais pas plus (purée si seulement je pouvais être obèse ou anorexique pour qu’on me pardonne mes autres tares,  je vais de ce pas dévaliser le rayon chocolat), qui lit des livres (mais quel snob), et qui trouve que Virginie Despentes et Christine Angot ne savent pas écrire (quel machiste) , dont les parents ne sont pas divorcés et ont eu des mœurs on ne peut plus classique (enfin à ma connaissance), qui ne suis pas tombé dans une quelconque dépendance et qui (vu de loin seulement) pourrait donner l’impression d’avoir eu une réussite professionnelle, forcément j’ai le beau rôle et de ce fait ma parole ne compte pas. Il faudrait que je sois un nain transsexuel et bi, obèse, immigré, fan de Guillaume Musso et travaillant dans une mine (je ne sais pas lequel de ces deux derniers points est le plus pénible) pour pouvoir me prononcer sans être taxé de tous les maux précédemment cités. 

Devant tant de bêtise et l’impossibilité d’échanger avec nuance j’étouffe littéralement et me sens du coup perpétuellement agressé. Récemment j’ai retiré pour la première fois de ma vie une publication que j’avais partagée car des « amis » Facebook ont commencé à m’insulter, tout cela car ils n’avaient lu qu’une phrase extraite de l’article et non l’intégralité (alors que j’avais mis en garde). Les gens ne lisent plus, c’est la folie de l’indignation. Et moi qui écrivais une incitation à l’indignation début 2011, j’ai peur d’avoir été pris au pied de la lettre. Là où j’ai été mal compris (non bien sur ce n’est pas le cas, ce ne sont pas la dizaine de lecteurs de mes posts qui vont compter) c’est que je parlais d’une indignation par rapport aux excès du pouvoir et au manque de démocratie représentative dans un but commun de bien pour tous, par pour déclarer la guerre et l’éclatement du lien social entre des gens différents. Aujourd’hui les évènements « Girls Only » se multiplient, si je peux comprendre ce qui a motivé cette tendance, je ne l’approuve pas, ce n’est pas en divisant une société qu’on la rend plus heureuse, elle devient simplement plus facile à gouverner et à manipuler. Il suffit d’agiter un pseudo scandale et d’activer l’indignation pour rendre inaudible un discours constructif. Quand on voit qu’une partie de l’opinion pense que le 49.3 adopté pour faire passer la loi sur la réforme des retraites sans aucun amendement est du fait de l’opposition, on mesure à quel point ces manipulations sont dangereuses. Donc arrêtons de nous diviser et au contraire regroupons nous, vivons ensemble. Les divisions renforcées n’ont jamais été gage d’harmonie et de paix et permettent à nos gouvernants d’exercer un pouvoir autoritaire, ce qui n’est pas l’option que je souhaite privilégier pour le futur de mes enfants (ah oui j’oubliais j’ai aussi eu des enfants sans PMA ni GPA honte sur moi, honte sur eux, je ne peux vraiment rien comprendre au monde d’aujourd’hui).



Illustrations : Thérèse rêvant - Balthus 1937 (pétition pour la faire disparaître du Metropolitan pour incitation pédophile). Hylas et les Nymphes - Waterhouse 1896 (décroché sur demande d'un groupe et d'une artiste pour image avilissante de la femme de la Manchester Art Gallery puis remis). Homme assis nu - Egon Schiele 1910 (S'est vu apposé de larges étiquettes cache-sexe sur les affiches de promotion d'une rétrospective à Vienne en 2018). Tintin au Congo - Hergé 1931 (appel à l'interdiction de l'oeuvre par de nombreuses associations et ligues). Pièces Les suppliantes - Eschyle -470 (accusée d'être racialiste et ayant été empêchée d'être jouée  par le Cran).