lundi 24 septembre 2012

Caricature impossible

Ceux de ma génération ayant suivi leur scolarité en France ont tous eu à un moment un copain surnommé Momo. Le plus souvent venant du prénom d’origine arabe Mohamed, lui même émanant du nom du prophète de l’Islam. Prénom devenu extrêmement commun et que l’on peut comparer en nombre aux Aurélien, Alexandre de ma génération. Souvent plus doués au foot mais pas toujours, souvent discriminés, toujours. Malgré un cursus scolaire équivalent certains noms de famille ou prénoms aussi courants ne donnent pas les mêmes chances dans la vie.

Au niveau des chances à l’emploi, et j’aimerais qu’un jour un de mes amis proche rédige précisément l’étude sociologique dont il est victime malgré lui, ce n’est vraiment pas le plus porteur. Le sujet de mon billet n’est pas là même si on pourrait en écrire des tonnes et des tonnes. Ce qui m’importe ici c’est l’obscurantisme général qui s’épaissit, pléonasme affreux certes mais tellement réel. Nous voilà donc dans une société où la critique à défaut d’être piquante peut devenir destructrice, non pas par son impact intrinsèque, mais par l’emballement et l’embrasement qu’elle peut générer. Le film islamophobe diffusé récemment sur internet a  entrainé des réactions extrêmement violentes et angoissantes. Et voilà que Charlie Hebdo décide de faire un double coup, persister et signer sa défense de la liberté d’expression et aussi accélérer la progression de ses ventes. Je suis pour la première idée, un peu moins pour la seconde à ce moment précis. Il faut appeler un chat un chat, et relater et caricaturer ce qui se passe je suis plutôt pour. De même crever des abcès dans un pays laïque je suis pour. Pour finir la couverture est réussie. Si on réfléchit bien c’est caricaturer un juif en un jeune de banlieue pauvre qui vient en aide en poussant un musulman riche. Dans l’imaginaire caricatural populaire et l’inconscient collectif, sans doute influencés par ce qui se passe entre Israël et la Palestine, c’est bien souvent le contraire. Le jeu de mots avec intouchable, faisant allusion à la non évidence de faire de l’humour en ce moment autour des religions parachève le tout. Concernant les autres caricatures, on est dans le ton Charlie Hebdo, pas plus, pas moins. Pour ceux qui doutaient encore de la finesse de Charb, se fournir les albums de Maurice et Patapon est indispensable.
Ensuite côté timing ça ne tombe pas très bien.
J’ai revu récemment mon pote Momo, celui des petits ponts, qui m’a raconté sa mésaventure récente. En voyage avec son ami Danois, les voilà tous deux en amoureux se baladant sur la butte Montmartre. Comme tout jeune couple excité devant cette découverte de Paris qu’ils connaissaient surtout pour l’avoir vue à la télé, les voici sur cette fameuse place du Tertre. Comme tout bon touriste ils admirent les faux et quelques rares vrais peintres de la place y subsistant. Un en particulier attire leurs regards. Les portraits qu’il fait de ses cobayes sont plutôt drôles. Alors ils se jettent à l’eau. Après un temps d’attente où le soleil faisait hélas perler les gouttes sur le front de mon ami, risquant de compromettre toute l’aventure l’homme un brin austère leur assène avec un accent assez loin du titi parisien imaginaire, mais bien plus du slave (petit hommage à Céline impossible à cet instant, il ne parlait pas bien le parisien ce Russe d’autant qu’il n’avait sans doute pas été taxi à Beuzon) : « C’est pour qui ? ». L’enfantillage s’en suit, vas-y toi, non vas- y en premier je veux voir ta tête et bli et blo. “Aller Momo vas-y”. Il s’installe.
L’air offusqué, l’artiste ou apparenté tel quel, lui dit, avec cette fois-ci l’amabilité toute parisienne retrouvée : « Ah non, je veux pas de ça. Vous dégagez !!! Illico presto ». Un peu stupéfait : « Qu’est ce qui vous prend ? ».
Le moujik pas à un blasphème près : «  Momo, c’est pour Mohamed ou un truc du genre ? de dieu !!! Vous allez pas m’avoir comme ça, moi des caricatures de Mohamed j’en fais pas c’est comme ça, je veux pas m’attirer d’ennuis, si vous voulez vous faire tirer le portait allez voir ailleurs, mais ce sera pas moi qu’on aura sur ce coup là. Veux pas qu’on me brûle mes ustensiles moi. Sinon vais être obligé de les faire en poil de rats bientôt mes machins.» En fin de compte si, à un blasphème près...
Interloqué le couple s’en est allé. Avec des idées étranges dans la tête, rien de bien méchant, un sentiment d’absurdité, l’injustice ayant déjà été intégrée depuis belle lurette.
Voilà donc que même se faire caricaturer devint impossible pour Mohamed. Je suis de même interloqué par ces dérives, sans trop comprendre, sans approuver, avec le sentiment de ne pas y pouvoir grand chose, hélas ...

jeudi 20 septembre 2012

Le guide des meilleurs vins de France.


Le meilleur guide des vins de France.
Ce n’est pas marqué comme cela sur la couverture mais il s’en faut peu. Le guide des meilleurs vins de France 2013 vient de paraître et augure d’une fin d’année riche en folles dépenses tant les vins du millésime 2010 ont atteint des prix astronomiques. Ce guide, donc le numéro 1 (des guides d’auteurs en France, c’est marqué en haut à droite) qui émane de la très sérieuse et estimée revue des vins de France offre un article aux 1300 meilleurs domaines, les classant en étoiles, copiant en cela la bibliothèque du bibendum. Sommaire très bien fait, couverture large des vignobles même si le fait de ne pas tout y retrouver frustre forcément quand on s’attend à voir figurer dans ces pages l’un des domaines qui nous avait enthousiasmé lors des vacances précédentes où les caves aidèrent à supporter les fortes chaleurs et à se désaltérer. D’où un souvenir magique.
Scène d’intérieur : Non j’ai regardé à “Le domaine...” à “Château de …” chérie je le trouve pas. Le doute s’installe alors, avons nous eu bien fait de laisser la trottinette chez mamie pour laisser la place à 6 cartons de ce vin, qui manifestement ne fait pas partie des 1300 meilleurs domaines de France, et c’est le meilleur guide des vins de France qui le dit. En fonction de votre chance au grattage vous aurez en retour, soit un “je te l’avais dit qu’il avait un drôle de goût, comme un goût de champignons un peu vieux” soit “ il y sera l’année prochaine, tu sais ces guides …”
Là n’est pas mon sujet et pour ne pas avoir lu les autres guides cette année je ne peux pleinement le consacrer, même s’il est très bien et s’il remplit parfaitement son usage avec pour la quasi totalité des vins une dégustation annotée de tous les millésimes disponibles (dégustation des primeurs comprise). 
Et pourtant c’est un coup de gueule. J’en reviens d’ailleurs à mon propos précédent sur la mort du langage (lien). Ce guide fait pour les érudits, les nobles de la dégustation … et les autres quand même aussi car il faut bien faire du volume pour vivre, n’en reste pas moins le théâtre dramatique de la régression de la qualité d’expression des écrivains en France. N’entendez pas ici par écrivains, les romanciers ou les lettrés mais bel et bien tout ceux qui écrivent un texte mis à disposition d’un large public. Je n’ai pas encore fait l’inventaire complet, et heureusement car ce livre serait déjà enterré mais disons que grosso modo, chaque petit article offre hélas une faute de grammaire, de syntaxe ou carrément un oubli de plusieurs groupes de mots. J’entends déjà les pourfandeurs de la médiocrité me dire : Mais attends ! C’est pas du Shakespeare et bli et blo. Là n’est pas le propos. Le travail de relecture devrait être présent avec un haut niveau d'exigence. De cet ouvrage lire à l’occasion une critique par jour peut passer, même si lire que c’est le Chaval Blanc qui coûte 1000€ la bouteille (ça doit tout de même écorner les oreilles des  propriétaires Arnault et Frère) est assez irritant. Reprenons la même scène un peu plus tard , chéri tu t’es fait avoir tu sais. Ton Cheval blanc bah c’est pas ça qui vaut la peine, c’est le Chaval Blanc, je n’ose imaginer les joutes qui peuvent s’en suivre.
Mais quand on veut se plonger dans une lecture d’une région, en prenant les domaines les uns après les autres, c’est dérangeant, puis agaçant, puis énervant et on laisse l’ouvrage à son rôle de guide pratique ponctuel. Qu’a donc fait l’éditeur ? A priori il doit être occupé à licencier ces correcteurs qui ne servent à rien et ne représentent pour lui qu’un coût financier, et pourtant ce ne serait pas en vin de les garder ...

lundi 3 septembre 2012

La nébuleuse du Crabe et autres récits autofictifs.

Je passe après la bataille vous me direz, près de 20 après la parution de ce roman d’Eric Chevillard La nébuleuse du Crabe. En pleine rentrée littéraire, pas très actuel, et pourtant quand on découvre un génie poétique on peut bien s’extasier avec un peu de retard. Peu de temps après avoir vu la poésie sur grand écran grâce à Holy Motors, je l’ai vue entre mes mains dans ce récit protéiforme d’Eric Chevillard. Chevillard qui est pour moi (et d’ailleurs pas que pour moi, ayant une large notoriété aujourd’hui, même si renommée n’est pas souvent égale de qualité) un des génies littéraires du moment. Je l’avais découvert par hasard avec Du Hérisson, pris par son style si juste, drôle et cruel. Cette histoire de hérisson qui apparaît sur la table d’écriture d’un auteur confronté à la page vide, cercueil créatif scellé par la présence inopinée de ce petit être mangeur de gomme m’avait happé. La beauté absurde et décalée m’avait subjuguée. Me demandant tout de même plusieurs fois si je comprenais bien ce que je lisais, me mettant à prêter à l’auteur tout une ribambelle d’allusions plus jouissives les unes que les autres, j’ai toujours gardé en tête ce créateur comme majeur, n’ayant pourtant lu qu’un de ces livres à ce moment là. 
Arriva ensuite Palafox, dans mon ordre de lecture, publié en 1990, livre où la cruauté et la monstruosité n’ont pas de bornes et pourtant livre angoissant, émouvant, amusant, dérangeant. En profitant des versions de poches de quelques unes de ces œuvres (hélas seulement un nombre limité) me voici donc en compagnie de Crab, véritable allégorie multiple, Protée d’apparence, de sentiments ressentis et communiqués. Comme si Crab était l’Homme dans son entièreté. Chevillard arrive à présenter en Crab l’humanité presque‘entière aussi bien dans sa superficialité condamnée que dans sa profondeur sentimentale. Ainsi comme le génère Oscar chez Carax, Crab nous fait vibrer, nous fait peur, nous donne envie de vomir, nous enchante, nous faire rire, suscite l’admiration, la crainte, l’indignation. 
N’est-ce donc pas ça la vraie beauté artistique, la communication des émotions, expérimenter les territoires avancés des sensations et les mettre à la portée du plus grand nombre. Pas besoin d’être un fin lettré, disciple du Littré pour comprendre Chevillard, son style est extrêmement limpide, précis, implacable à vrai dire. Il faut être ouvert d’esprit, prêt à lire un roman non romancé, sans véritable histoire linéaire, mais plutôt une série d’émotions. L’humour chez Chevillard, et cette prise de distance quant à son sujet sont exceptionnelles. Il est sans doute un homme d’une finesse extrême qui ne se dépense pas en histoires narcissiques infantiles. 
Merci M Chevillard d’avoir déjà fait tout cela, il m’en reste encore beaucoup à lire et c’est un plaisir de l’imaginer. Pour les plus curieux qui se demandent ce qu’il en est, commencez par son blog l’auto-fictif, duquel sont tirés régulièrement des ouvrages. Le format de trois paragraphes par jour, respecté à la lettre vous feront rentrer dans l’univers de ce grand écrivain. Le blog est ici. Et surtout si vous ne comprenez rien, arrêtez d’essayer de comprendre et laissez vous porté par la vague, vous ne le regretterez pas.