vendredi 19 mai 2017

Disparitions musicales

J’aurais déjà pu en écrire en tout 5 cette année, des hommages à des personnes disparues qui ont compté pour moi. Même si l’âge de certains peut expliquer leur départ, pour d’autres ce n’est pas le cas. Cette semaine ce sont deux figures qui ont engendré ma passion musicale qui se sont éteints, l’un inconnu du grand public s’éteignant à un âge où on ne crie plus au scandale, l’autre star planétaire bien passant l’arme à gauche bien trop tôt. Je ne suis pas un musicien, ça aura été sans doute un de mes plus grands regrets, c’est comme ça je me suis fait une raison depuis lors mais mélomane certainement.

Le premier, homme de ma famille qui connut une enfance sous l’occupation allemande puis qui put se confronter à l’horreur humaine lors de la guerre d’Algérie était un ancien cheminot, touche à tout, fan d’histoire, d’ornithologie et de musique. Ses oreilles étaient altérées par un travail assourdissant sur les rails mais ça ne l’empêchait pas d’être un amateur de jazz et de me faire découvrir au casque, lorsque les grands dînaient, des morceaux de Duke Ellington et de Dizzie Gillepsie. Il jouait aussi avec brio de l’harmonica, diatonique ou chromatique. Je voulus suivre ses traces mais mon harmonica Hohner flambant neuf ne donnait que peu de mélodies cohérentes sous mon souffle. Ces bases de ma petite enfance ainsi que les écoutes de vinyles des premiers acteurs du rock n’ roll ont tracé ma route d’amateur de musique. Assez vite je fis partie des ados et jeunes qui passaient du temps à écouter de la musique, pas en fond mais  bien comme activité principale. Quand on me demandait, tu as fait quoi ce mercredi après-midi il n’était pas rare que je réponde : “ J’ai écouté de la musique. - Non mais t’as fait quoi ? - Bah j’ai écouté de la musique. - Rien d’autre ? “ Et là c’est moi qui ne comprenait pas la question. Comme si l’écoute d’un album ne nécessitait qu’une demi-attention. Je suis donc devenu un passionné de musique de styles très variés il faut dire, en allant jusqu’à certains extrêmes (brutal death grind core metal et j’en passe). Parmi tous ces groupes celui que j’ai écouté le plus, de mes 14 ans jusqu’à aujourd’hui avec une fréquence toujours élevée, n’éprouvant aucune lassitude à l’écoute de leurs albums est Soundgarden. J’ai appris hier que le co-fondateur et chanteur Chris Cornell est mort soudainement la veille à Détroit, en plein milieu d’une tournée du groupe. En plus d’adorer les albums de Soundgarden (Dow on The Upside, Superunknown, Badmotorfinger, Louder than love) j’ai aussi développé une admiration pour Chris Cornell et l’ai suivi dans ses différents projets.

Je pense que son premier album solo a été celui que j’ai le plus écouté l’année de sa sortie, ainsi que
celui de Temple of the dog où son enchevêtrement de voix avec Eddie Vedder était sublime. Et dans un deuxième temps Audioslave, essentiellement les deux premiers albums. Sa voix est, était, exceptionnelle, capable d’alterner douceur, déchaînement rock et aigus splendides naviguant entre les octaves (4 à ce que les spécialistes en disent). Un son reconnaissable entre tous et un talent énorme. Il y a peu d’artistes qui arrivent à avoir du succès autant dans leurs projets parallèles que dans leur groupe phare. Ses albums solos sont très bons, même si il a expérimenté certaines choses qui peuvent en rebuter certains. Audioslave assurait et Soundgarden je le mets au Panthéon du rock. Même leur retour avec King Animal n’était pas loupé. Ce n’était certes pas leur meilleur album, mais il donnait l’espoir qu’ils y étaient encore et que le futur était prometteur, que les clivages passés entre Chris et Kim étaient histoires ancienne, entre une ligne de rock plus agressive et celle de morceaux plus posés. Soundgarden n’a certes pas tenu son succès que de Chris Cornell, les 4 membres sont excellents et forment un tout homogène et admirable. Kim Thayil avec ses lignes de guitare pleines de feeling, capable d’aller chercher au bon moment des harmonies exotiques. Ben Sheperd avec ses lignes de basse qui vouent tuméfient l’estomac en concert et Matt Cameron qui fut plus longuement connu comme batteur de Pearl Jam après la split de 1997, capable de tenir des concerts de plus de 3 heures avec brio. Je les avais vu une fois, lors d’un festival en 2012, c’était top même si pas assez long et le public présent n’était pas qu’un public de fans, attendant surtout Metallica qui jouait à la suite. C’était dans mes carnets d’aller les voir à la prochaine tournée, surveillant les dates de leur tournée d’été aux Etats-Unis espérant qu’ils passent l’Atlantique prochainement, me posant même la question de savoir si un petit A/R n’aurait pas été possible. Et voilà bam, tout s’arrête d’un coup. Plus d’harmonica, plus de chant, il reste pour le deuxième les disques certes, mais ça va faire un sacré manque.

mardi 9 mai 2017

La nausée

Et pourtant je ne suis pas enceint ni particulièrement amateur de Jean-Paul Sartre. J’ai eu ma période bien entendu (par rapport à Sartre et sans aucun autre jeu de mots) mais m’en suis assez vite détaché, sans que ce ne soit la lecture longue et ardue de l’Etre et le Néant qui m’en éloigna ni la lecture du livre de BHL consacré au plus célèbre binoclard de la littérature française que j’avais trouvé assez passionnant l’ayant vu en conférence sur le même sujet.

Il attaque fort cet article, Sartre et BHL dans le même paragraphe, ça pourrait en effet causer une irrépressible envie de vomir à certains mais pas à moi. Ce sentiment que j’éprouve depuis plusieurs semaines vient donc d’ailleurs, et plus particulièrement de l’action que je dus commettre ce dimanche 7 mai, c’est-à-dire aller voter avec un profond haut-le-cœur mais en ayant le sentiment de ne pouvoir faire autrement. Un peu comme quand vous avez beaucoup trop bu et que le vomi est salutaire même si vous savez bien que sur le coup il peut être douloureux, irritant l’œsophage et pouvant même remonter dans le nez, sans parler des dégâts externes comme les salissures et l’odeur.
 
Je ne soutiens en rien Emmanuel Macron jusqu’aujourd’hui. J’espère sincèrement me tromper et le voir se tourner vers des préoccupations essentielles. Faire des cadeaux sur les taxes aux entreprises sans création d’emploi (ce derrière quoi il est) ne fait pas partie de mes credo. Pour résumer, augmenter les revenus des plus riches sans répartition, sans se soucier de la durabilité de l’exploitation des ressources ni du bien être des masses, je ne suis pas fan. C’est bizarre me direz-vous, sans doute suis-je resté un enfant appliqué qui espère qu’une certaine justice existe et ne trouve pas normal que l’un ait 1000 fois plus que l’autre, tout CEO qu’il puisse être. Il a mené jusqu’à présent une politique bien plus libéral et bien plus éloignée du socle des principes de cohésion sociale que tous les libéraux de droite auparavant. Qu’il ait réussi à être élu à sa première tentative d’élection politique, et de plus Président de la République est remarquable. Enfin quand vous avez un consensus des intérêts des détenteurs de capitaux et donc des propriétaires de groupe de presse ça peut aider. Alors est-ce que je remets en cause l’indépendance journalistique et la déontologie du métier, bien entendu. Non pas au niveau de l’individu journaliste mais bel et bien de la gouvernance des groupes de presse. Si vous mettez les esprits les plus critiques à la chronique des vieilles chattes mouillées écrasées (encore une fois aucun lien voulu avec Macron dans cette illustration) et que vous gardez un certain type de journalistes à la couverture politique vous aurez facilement une orientation qui va se dessiner. Et puis en termes de communication, nos esprits qui sont affadis par les scandales passés et abrutis par tout ce que déverse le mass media de plus débilitant  étaient prêt à gober ce prétendu changement. Le changement c’est maintenant … Ah non je me trompe, encore. C’était en marche, on ne savait pas trop vers où, en tout cas tant que ça pouvait ramener du monde et des électeurs on y allait.  Cela pouvait donner l’impression de passer devant les vitrines du quartier rouge d’Amsterdam, un peu de tout et pour tous les goûts, tant que ça peut vendre.
 
Nous voilà donc avec un nouveau président, vernis marketing d’un libéralisme d’affaire bien rodé, l’illusion du neuf, le Canada Dry du renouveau politique. Que les gens y croient, et bien tant mieux si ça peut porter un peu d’espoir et encourager ces militants à influencer la politique du plus jeune président de France. 
J’ai peur que la désillusion ne soit encore plus dure à encaisser cependant. D’autant que nous serions informés si Macron souhaitait vraiment le changement, il aurait notamment parlé de comptabiliser les votes blancs en les rendant éliminatoires. Chaque candidat ayant moins que le vote blanc se verrait éliminé de l’élection et s’il se voyait éliminé trois fois par le vote blanc, il ne pourrait se représenter à toute autre élection du même niveau (nationale ou locale ou européenne). L’abstention serait moindre et il est vrai que nous aurions sans doute vu et Macron et Le Pen se faire éliminer au second tour. Voilà ma deuxième idée de proposition après celle de la séparation du milieu des affaires et de l’actionnariat des groupes media, cette fois-ci la reconnaissance d’un vote blanc puissant, afin de donner l’impression aux électeurs qu’ils peuvent avoir le choix sans qu’ils soient pris en otage et obligés de voter pour la peste ou le choléra. Et sans nausée.

mardi 25 avril 2017

Tournons la page, une première proposition.

Pour ne pas rester sur cette note triste de mon dernier billet j’espérais avoir bientôt un sujet heureux à traiter. Tel n’est hélas pas le cas, en tout cas rien de positivement notable . Si l’on prend les élections qui se sont achevées, ou presque, dimanche et bien mon niveau de satisfaction est bien bas. La qualité de la campagne a été catastrophique car elle n’a été que très peu sur le fond. La forme et ce que les journalistes appellent les affaires ont pris la plus grande place. Il y a eu, au sein des partis comme de la part des médias et des instituts de sondage un réel déni de démocratie. Les uns organisant une primaire pour mieux en trahir le résultat et donc les votants et partisans, les autres maintenant un candidat qui aurait dit de lui-même 6 mois avant, s’il avait dû se juger à l’aveugle, qu’il était inéligible, une chaîne n’invitant que certains candidats sur base de sondages pour le premier débat télévisé, un autre candidat en violation de ses droits par rapport à l’Europe dont il prend l’argent et qu’il condamne dans ses discours … On pourrait hélas continuer encore cette énumération bien plus longtemps que les éditions précédentes. 
 
Il y eut heureusement un peu de fraîcheur, parfois comique avec certains candidats plus typiques et aussi une volonté de certains candidats de proposer autre chose, une réflexion pour une nouvelle société. Ces personnes ne sont pas au deuxième tour mais elles ont eu le mérite de vouloir élever le débat dans un espace médiatique qui ressemblait hélas plus à une chambre anéchoïque pour idées de fond. J’ai plusieurs fois pris parti pour ou contre certains médias par le passé sur ce blog. Si je reprends mon sentiment personnel durant cette campagne, il est d’avoir été manipulé, et pas les réseaux sociaux, en étant comme drogué vers la fin mais aussi par les media et les traitements journalistiques. Sans doute que le candidat, maintenant futur président avec quasie certitude jouissait d’un consensus porteur, mais en tout cas dans le ton et le traitement il n’y avait aucune commune mesure avec certains autres. Je ne vais pas essayer d’expliquer cela en détail sauf que de dire que la détention des capitaux des médias par des acteurs privés et ayant d’autres participations économiques constitue un réel conflit d’intérêt. Les cinéphiles penseront à Citizen Kane bien évidemment, et cela date, mais depuis lors nous ne pouvons dire que nous avons connu des améliorations. Alors j’avance ici une proposition qui serait la séparation des activités économiques et des activités d’information. Comment, combien, quand ? Je ne vais pas répondre ici car je ne suis pas au stade du programme détaillé mais au stade de la proposition et du concept. J’ai toujours aimé la télé et radio publique car du fait de cette non corrélation directe avec le monde des affaires la liberté de ton est normalement bien plus grande. Mais avec les nominations récentes à la tête de certaines grandes institutions cette liberté est sans doute moins évidente.

Il se pose aussi un gros problème de rentabilité économique des médias qui tombent très vite dans le sensationnel à outrance pour vendre. A ce stade les solutions incitatives ne sont pas encore simples car elles nécessiteraient des fonds mais payés par qui. Bien que je ne sois pas partisan des mesures coercitives, dans un premier temps et afin de constituer ce fonds, je préconise des mesures de sanction pour tout media ayant publié une information se révélant par la suite fausse et où le travaille journalistique (vérification des sources, cross-checking) n’a pas été effectué. Nous avons des gens qui sont condamnés dans la presse avant même qu’ils ne soient mis en examen, cela ne doit pas se reproduire. La réserve tant que l’information n’est pas vérifiée et la présomption d’innocence sont impératives si nous voulons y voir plus clair. Alors qui pour faire cela, le CSA peut-être mais il conviendrait de revoir le mode de désignation des membres et du président. Il est important de rétablir une réelle liberté de la presse afin de pouvoir ensuite imaginer un débat d’idée non biaisé sur l’évolution de notre société. Cela me paraît un préalable à toute initiative politique. 
Mais la principale question est : quel intérêt auront les gens au pouvoir d’aujourd’hui et de demain à faire cela ? Clairement aucun, tout son contraire mais avec une pression du peuple nous pouvons peut-être espérer faire bouger cela, en tout cas essayons de tourner la page et d’avancer dans ce sens, c’est peut-être le bon moment.

mercredi 22 mars 2017

Hommage à mon ami Pierre Zuber, le caviste qui faisait aimer la bière et la vie

Hommage à mon ami Pierre Zuber, décédé ce dimanche 19 mars 2017.
La première fois que j’ai vu Pierre je ne savais pas ce qui m’attendait, ni que ça allait devenir l’un de mes points d’ancrage à Bruxelles, ni l’ami par qui naîtrait une passion contagieuse jusqu'à tous mes amis.
C’était en 2004 lors d’une balade dans le centre ville de Bruxelles, il était encore à son ancienne adresse, de l’autre côté de la grand place si l’on compare à sa dernière installation dans le haut de la rue des Bouchers. J’avais dû acheter, encore novice en la matière une Saint Bernardus et une Gulden Draak ou quelque chose du genre. Et puis quelques mois se sont passés, j’ai quitté Bruxelles, puis suis revenu l’année d’après pour m’y installer jusqu’à aujourd’hui. Avec Jérôme  nous arpentions à l’époque la cave du Delirium Café qui était encore bien souvent vide, nous allions au Moeder Lambic qui était encore encombré de toutes ses vieilles bandes dessinées et des ses bouteilles vides exposées comme des trophées. 

Nous avons donc rencontré Pierre à la recherche d’un lieu de découverte et ce devint vite le lieu d'un rendez-vous extrêmement fréquent. Sa boutique et lui nous aimantaient. Pierre était et restera dans les cœurs LE caviste à bière de Bruxelles. 
Dans les hommages post-mortem il est tellement fréquent de dire du bien des gens fraîchement disparus que cette généralité pourrait déforcer mon message, il m’incombe donc d’insister et de témoigner. Pierre est sans doute l’une des personnes les plus gentilles, douces et à l’écoute des autres qu’il m’ait été donné de rencontrer. C’était un commerçant magnifique, et pas dans le sens d’être un bon commercial, ça, la rentabilité, la performance ce n’étaient pas sa préoccupation. Il avait une telle générosité que même si vous n’aimiez pas la bière en ressortant de sa boutique, vous ne pouviez que  ressortir conquis. Il pouvait vous parler deux heures avec le sourire même si vous n’achetiez rien, chez lui aucune animosité. Sa boutique, même si l’agencement s’est amélioré grâce, je l’ai toujours suspecté, à l’apport d’une touche féminine, était faite de brics et de brocs. On se faufilait entre les casiers en attente de délestage. 
Je me souviens que lors de nos discussions qui duraient des heures, je l’aidais discrètement à avancer les bouteilles de ses rayons pour qu’elles prennent place aux premiers rangs désertés par l’achat des clients de la journée, ou peut-être même de la veille. Ces étagères en bois brut et un peu branlantes, je les connaissais par cœur. 

Un de mes premiers souvenirs marquant, fut lorsque nous achetèrent avec Jérôme (qui fut caviste par la suite à son tour) notamment une Oude Kriek de chez Boon, la couleur de cette bière ... Mais il faut tout replacer dans le contexte, Pierre était un pionnier. Il aimait les produits et le travail des hommes derrière, il découvrait et faisait découvrir bien avant tout le monde. Même tout suisse qu’il était, il était plus belge que tous ceux que je pus croiser par la suite, et connaissais les produits et les brasseries sur le bout des doigts. Il faisait ses tournées au moins deux jours par semaine et allait à la source. Ce n’était à l'époque pas encore la grande mode dévastatrice des bières distinguées. Il ne thésaurisait d’ailleurs pas et n’exploitait pas ses découvertes ni les raretés pour faire de grosses marges, à l’inverse de certains scandaleux qui n’hésitaient pas, quand c’était encore possible, à piller Westvleteren et à vendre cela à prix d’or. 
Tous mes amis qui ont appris à découvrir la bière belge le doivent finalement à lui, ainsi que tous les excès qui purent s’en suivre. Sachant qu’à l’époque boire des bières qui titraient plus de 7° était très très rare en France, un bon nombre fut surpris.

Pierre était un bavard. Là je vois déjà ceux qui me connaissent se dire oula, si Philou dit ça, lui qui est déjà capable de tenir 2 heures sur n'importe quel sujet, ça devait être quelque chose. Et j’avoue, il me surclassait, à tel point que mon épouse, qui n’était encore que ma petite copine à l’époque voyait le traquenard arriver dès que nous nous rapprochions de la ruelle et essayait d'éviter le chemin qui s'achevait par deux heures de discussions sur la bière et autres sujets philosophiques ...
Je pense qu’il était quasi impossible de ne pas tomber sous son charme. J’ai du amener plus d’une cinquantaine de personnes chez lui et à chaque fois le même effet, ouaou trop génial. Je lui dois beaucoup, lorsque j’avais un coup de mou, il avait toujours la patience pour écouter et c’est moi qui prenait le rôle du bavard. J’en ai passé du temps dans sa boutique. Et hélas, ces dernières années, sa réduction d’activité due à sa maladie ainsi que l’éloignement naturel du aux petites nuisances et préoccupations d’une vie plus chargée de responsabilités de mon côté, ne m’ont pas permis de passer assez de temps avec lui. Nous nous étions promis comme il ne travaillait plus le dimanche d’en passer un ensemble en familles. 
Lorsque j’ai appris sa disparition lundi matin j’en fus choqué, je n’avais pas suivi le parcours des dernières semaines, et bien évidemment je m’en veux de n’avoir pas su être là. Je n’y peux plus rien sauf penser à sa compagne Ann et à sa très jeune fille Zoé. 
Heureusement me reste un nombre incroyable de bons souvenirs que j’espère pouvoir raconter à sa fille quand elle sera en âge de poser des questions et d’avoir des souvenirs. Vu le nombre de personnes que Pierre a marqué positivement, je me dis qu’elle aura une image d’un superman joyeux avec un tablier de caviste en guise de cape. 

Je me souviens du jour où il m’expliquait que ses tournées prenaient un temps fou car les brasseurs étaient trop bavards, là je ne sais plus si nous l’avons pensé juste très fort mais nous avions à l'esprit - "euh tu veux dire encore plus que toi ?" Je ne l’avais pas cru sur le coup et puis un jour je me suis embarqué avec lui pour faire une tournée, et c’est vrai que je ne sais si c’est lui qui générait le climat parfait pour parler, mais j’ai vu qu’il avait bel et bien raison. Il était dur de rester moins de deux heures chez un brasseur. Nous avions ramené à l’époque une étrange bouteille trouvée dans le fond du hangar d’un grossiste, une Lindemans Cassis vieille version brassée pour l’export, bière que nous bûmes quelques années plus tard et qui n’était pas si mauvaise. Mais côté coup de cœur C’est bien évidemment Pierre qui me fit découvrir les De Cam, Hanssens et Oude Beersel (ancien propriétaire), la GluhKriek de chez Liefemans, la Rochefort de Noël en magnum, la Lamoral D’Egmont, la Fantôme quand elle n’était pas loupée et tant d’autres merveilles, pour la plupart des versions éphémères que nous faisions vieillir.   
Avec son sourire, ses cheveux mi-longs plaqués de façon improbable il avait un style British, les fans de foot se souviendront qu’il était fan de Chelsea et qu’il prononçait le nom de son club favori avec un accent anglais tellement forcé. Dès lors, dès que j’entends dire Chelsea, je pense à lui.

Et puis c’est comme je l’ai dit grâce à Pierre que je pus devenir à un moment un vrai expert passionné de bière et animer notamment pour le mariage d’amis proches des séance de dégustation, des soirées de clubs d’anciens, etc …
C’est également lui qui m’aida pour mon mariage à trouver l’inspiration et le matériel de dégustation. J’ai une image de lui ce jour de bonheur, avec une veste saumon en train d’expliquer aux amis à sa table quelles étaient les deux bières que nous avions sélectionné pour accompagner le fromage (une Chimay rouge et une blanche de la brasserie Vandenbosche qui accompagnaient parfaitement les fromages sélectionnés, ces derniers en revanche je ne m’en souviens pas mais ils ont au moins servi de prétexte). Son visage s'illuminait, ses joues souriantes et qui me faisaient penser à celles d’un poupon rougissaient légèrement, et  ses yeux scintillaient quand il parlait de son sujet de prédilection. C’était un passionné passionnant qui inspira des vocations. Je me souviens encore d’une balade derrière les champs de l’auberge de Poteaupré alors que nous avions grâce à lui et au responsable commercial de Chimay visité l’abbaye, chaîne d’embouteillage mais aussi l’intérieur de l’abbaye ou la bière est réellement produite. C’est d’ailleurs ma consommation excessive de Chimay qui l’avait obligé à stopper le mini van, pour me laisser prendre l’air (seuls ceux présents sauront ce qui s’est vraiment passé). 
Je me souviens également de week-ends de la bière avec lui, de restaurants, de rencontres. C’était un fan du bon vivre, il avait passé son diplôme de cuisinier avec un stage notamment au fameux Restobières (ancienne adresse). Je suis aussi passé à la télé avec lui, pour une séance de dégustation dans l’émission Tournée Générale avec Ray Cox...
Pierre était devenu une institution à lui tout seul, une légende que j’espère il restera le plus longtemps possible. J’espère que certains brasseurs lui dédieront une cuvée, qu’on se souviendra de lui. En tout cas j’ai perdu un ami, quelqu’un qui faisait le bien autour de lui et qui était assez fort pour vivre en gardant sa gentillesse et sa bienheureuse naïveté. Quand il m’avait raconté la découverte de sa maladie il y mettait autant de gravité que le commun des mortels parlant de l’achat d’une machine à laver défectueuse. 

Il avait la grande classe, la classe des gens qui arrivent à garder le sourire. 

Pierre tu vas terriblement me manquer. 

vendredi 17 février 2017

Bonnes lectures : Ronce-Rose (Chevillard) et Province (Millet)

Il est assez rare pour être mentionné de commencer l’année par la lecture de deux romans contemporains de qualité. Je ne refais pas le match du niveau littéraire de la production française aujourd’hui, mais, même si des auteurs sont appréciés, bien vendus et font un travail très correct on ne peut pas toujours parler de littérature. Pour éviter de parler de ce qu’est la littérature et de ce qu'elle doit être, rentrons dans le vif de ces deux publications. Mes coups de cœur de ce début d’année pour parler comme un journaliste digne d’être publiée dans les grands magazines de critiques littéraires comme Elle ou Femme Actuelle ne sont autres (je continue dans le style journalistique du temps, publiable) que le derniers romans d’Éric Chevillard et de Richard Millet.  

INTERRUPTION : vous êtes viré, non mais, ce n’est pas parce que vous pensez être au niveau de l’abaissement culturel que nous proposons chaque semaine à nos lecteurs de ELLE et autres joyaux de la presse que vous pouvez vous permettre de tels écarts. Éric Chevillard mais on n’y comprend rien, il n’écrit sur rien mais ça pourrait encore passer si Minuit nous arrose. Mais Richard Millet, comment osez-vous mentionner son nom, un homme qui fait l’apologie du terrorisme catholique et blanc et qui s’habille si simplement.

C’est une réponse virtuelle mais tout à fait vraisemblable hélas si je devais écrire pour cette presse et écrire sur le sujet. La « culture » capitaliste de masse a ses têtes qui font vendre et qui ne font surtout pas réfléchir. Et quand on ne réfléchit pas l’on peut très vite s’arrêter au premier degré et partir dans des faux sens qui nous feraient décapiter un saint homme. INTERRUPTION : vous voyez je le savais, "saint homme", vous êtes un extrémiste religieux catholique, raciste, et aller jamais deux sans trois, homophobe je suis sûr.

Bon mais rassurez-vous je n’écris que sur ce blog lu plus par un nombre certain qu’un certain nombre d’amis et qui le font plus par sympathie ou ennui profond au travail que par réel intérêt. Appelons donc cela un billet inoffensif, qui en restera là.

Pourquoi mettre Éric Chevillard et Richard Millet ensemble dans cet article ? Autant pour leurs différences que pour la qualité littéraire qui se dégage de leurs œuvres. Le premier, qui a une certaine renommée, écrit en effet parfois des livres sur peu de choses. Du hérisson, l’auteur face à une page blanche perturbé par la présence incongrue d’un hérisson, l’Auteur et moi, une erreur de service dans un restaurant et un homme flanqué d’un terrorisant gratin de chou-fleur alors qu’il voulait une truite aux amandes, homme qui s’égare ensutie dans une note en bas de page de 80 pages à la poursuite d’une fourmi. En effet, le pitch ne paraît pas particulièrement brioché et pourtant c’est divin. C’est extrêmement poétique et peut générer une palette d’émotions improbables chez le lecteur. Chaque mot est pesé, rien de trop, un travail de la langue comme l’extraction d’un arôme pratiqué Yannick Alléno. Ceux qui veulent rentrer dans le vif du sujet sans se ménager pourront essayer Palafox, ou ceux qui ne souhaitent que de la poésie se régaler de la Nébuleuse du Crab.
Ronce Rose, le petit dernier (ahah j’y suis) est paru le 3 janvier, pile poil (je continue d’espérer être au niveau) pour un bon début d’année et raconte, oui raconte tout de même quelque chose, la parcours d’un enfant. Ce livre est sans doute plus abordable que d’autres car il offre une analyse de la vision du monde par l’enfant. Il est de fait extrêmement tendre et poétique et il nous embarque. Je le recommande vivement car il pourra plaire même à certains lecteurs peu enclin à se faire bousculer dans leurs habitudes littéraires et qui en général se satisfont d’une bonne intrigue un point c’est tout. Attention nous ne sommes pas dans du roman de gare pour autant et certains passages pour les non-initiés vont paraître quand même étranges et mieux, absurdes. Ce peut être un roman destiné à un public plus large que d’habitude. Éric Chevillard n’en perd pas pour autant (je continue) sa poésie. C’est un livre qui fait sourire, qui fait se sentir bien et qui enchante de par sa qualité.

Auparavant j’avais lu Province de Richard Millet, plaisir différent mais tout aussi intense. Style, ton, sujet et volonté très loin de ceux de Chevillard. Nous sommes ici dans le récit moins abstrait et avec une approche légèrement plus classique. Mais quelle écriture, c’est très très bien écrit et cela sert réellement le récit. Les premières pages qui ne plongent tout de même pas dans le pur descriptif peuvent faire légèrement peur aux novices, mais par après la langue sublime les émotions et les sentiments. Suivre Mambre, personnage sans doute miroir d’une partie de l’auteur, revenir en province est extrêmement intriguant du fait de la position du narrateur qui est à la fois partie prenante mais non actif directement dans l’histoire. Cette prise de distance qui permet d’avoir un regard doté de capacité de jugement mais qui n’en abuse pas fonctionne très bien et laisse le trouble concernant la véracité des propos rapportés, évoquant la question du subjectif dans le traitement narratif. Nous sommes dans les « on-dit », on rapporte des ragots sur des liens, mais sans savoir à 100%, et des fois si, l’on sait mais on ne dit pas. 

Richard Millet arrive à décrire les sentiments humains tels qu’ils s’expriment plus souvent hors des grandes villes, dans des campagnes où le cadre a une influence beaucoup plus grande que ne le réalisent les habitants sur les faits et gestes. Quelques fois la patte de Jean Giono est proche. C’est un voyage tellement pertinent et précis quant à la description des sentiments humains que cela peut sembler anodin au premier abord, mais ce n’est pas un livre inoffensif. Il n’est clairement pas un auteur anecdotique dans ses propos et n’hésite pas à bousculer les perceptions comme j’en vécus l’expérience lors de la lecture de la Confession Négative. Province est un livre très important dans la compréhension sociologique des mentalités de nos sociétés, tout comme les livres de Balzac pouvaient l’être (et le sont encore en ce qui concerne la compréhension de la nature humaine).
  
Les hommes politiques feraient bien d’avoir de telles lectures et de tirer parti des génies de la langue française que nous avons encore, mais me direz-vous encore faudrait-ils qu’ils s’intéressent à l’autre,  c’est un autre débat ou qu’ils lisent notamment les prix Nobels dont il parle, mais ça c’est tirer sur une ambulance (j’y suis presque).
Pour en revenir au sujet, LA bonne nouvelle nous avons encore plusieurs auteurs qui sont des génies ou défenseurs de la langue française (Chevillard, Millet, Michon, Jourde …), la mauvaise ils sont dilués, cachés par la masse médiocre et pour certains vilipendés car jalousés.