lundi 21 février 2011

Des éclairs de génie

Des éclairs de Jean Echenoz est annoncé comme la clôture de la trilogie dans laquelle il se fait le récit de trois existences connues, remarquables et à la fin tragique. Trois génies et tragédies, Ravel, Zatopek et Tesla, qui n’ont à première vue pas grand chose en commun sauf leur fin, ont donc été l’objet des trois derniers livres d’Echenoz : Ravel, Courir, Des éclairs. De ceux-ci seul Courir m’a échappé, ainsi le rapprochement que je peux en faire ne concerne pas l'ensemble du triptyque mais son début et sa fin.

Gregor, héros de l’ouvrage est le double échenozien du célèbre mais souvent mal connu inventeur serbe Nikola Tesla que l’on suit au travers de ses découvertes rocambolesques. Cela fait de ce livre un roman instructif. Me rappelant vaguement de l’unité Tesla pour la mesure de champs électromagnétiques, je n’en connaissais pas grand chose d’autre. Qu’il s’agisse du développement du courant alternatif, de l’invention de la radio, du radar, même du laser, cet inventeur semble être dès les premières pages un inventeur de génie, étant celui qui fit basculer, travaillant alors chez Westinghouse, les Etats-Unis vers le courant alternatif plus pratique au dépends du courant continu d’Edison, trop contraignant et moins fiable. Ce dernier allant par rage démontrer les dangers de ce courant alternatif sur l’homme en créant ce qui s’avérera être la première chaise électrique. Il est fascinant de voir que l’un des outils des massacres légaux le plus utilisés n’ait été à la base qu’un contre argument marketing, ne voulant pas vanter le côté humain car peu douloureux de l’arme de la mise à mort comme le fit Guillotin, mais voulant prouver l’atrocité de l’effet du courant alternatif sur l’homme. Il est d’ailleurs révélateur pour l’histoire des Etats-Unis que cet outil de massacre et de torture ait été le moyen de mise à mort le plus répandu pendant un siècle, avant de céder place peu à peu à un procédé plus clinique, l’injection létale.
Concernant la trajectoire du héros, elle est, comme le sont souvent les sujets de ce type d'ouvrage, triste et tragique. Sans doute les héros épanouis finissant dans le bonheur ne laissent que peu de place à l’interprétation de l’auteur et sont donc moins choisis comme matière à romancer, à moins qu’ils ne soient tout simplement moins nombreux. Dès le départ, on sent que Gregor ne vit pas pour être heureux, il est animé par l’excitation de la découverte, agissant plus comme un Dom Juan de l’électricité, développant un concept, déposant un brevet à la va-vite puis passant à autre chose, sans doute pour atteindre un but quasi impossible, maîtriser l’énergie universelle et l’amener à la disposition de tout un chacun gratuitement, voulant réaliser une action digne d’un dieu. Projet vu du mauvais oeil de ses industriels contemporains, et qui le serait toujours aujourd’hui, condamnant les marchands d’énergie.
On espère à chaque page que Gregor va s’épanouir, s’ouvrir aux autres, montrer du bonheur, et rien, le tragique le poursuit et l’auteur qui le décrit avec un ton le plus souvent compatissant mais parfois condescendant, semble ne pas vouloir le sauver même pour le bien-être du lecteur. Confirmant que l’ennemi n’est ici pas la maladie, comme ce fut le cas de Ravel qui dut céder à une déchéance mentale et physique, mais est en lui même. Les scènes de fin sont d’ailleurs pour moi trop longues et trop marquées, alors que quelques pages auraient suffi à nous faire comprendre cette fin tragique. L’auteur reste respectueux de son sujet et ne devient étrangement familier que par deux moments qui ne sont pas dans le ton de l’ouvrage et sont les seules imperfections de cet ouvrage froid et mélancolique (moments de l’appétit sexuel et celui de l’exaspération face au pigeons).
Pour ceux qui ont lu Semmelweis de Céline, vous y trouverez des similitudes marquantes et des destins que l’on peut rapprocher de par le côté précurseur, révolutionnaire et mal aimé des défenseurs des dogmes. J’avais été emballé par Semmelweis, ici un peu moins sans doute à cause de la possible redondance du propos, cela reste néanmoins un ouvrage instructif et efficace.