mercredi 22 mars 2017

Hommage à mon ami Pierre Zuber, le caviste qui faisait aimer la bière et la vie

Hommage à mon ami Pierre Zuber, décédé ce dimanche 19 mars 2017.
La première fois que j’ai vu Pierre je ne savais pas ce qui m’attendait, ni que ça allait devenir l’un de mes points d’ancrage à Bruxelles, ni l’ami par qui naîtrait une passion contagieuse jusqu'à tous mes amis.
C’était en 2004 lors d’une balade dans le centre ville de Bruxelles, il était encore à son ancienne adresse, de l’autre côté de la grand place si l’on compare à sa dernière installation dans le haut de la rue des Bouchers. J’avais dû acheter, encore novice en la matière une Saint Bernardus et une Gulden Draak ou quelque chose du genre. Et puis quelques mois se sont passés, j’ai quitté Bruxelles, puis suis revenu l’année d’après pour m’y installer jusqu’à aujourd’hui. Avec Jérôme  nous arpentions à l’époque la cave du Delirium Café qui était encore bien souvent vide, nous allions au Moeder Lambic qui était encore encombré de toutes ses vieilles bandes dessinées et des ses bouteilles vides exposées comme des trophées. 

Nous avons donc rencontré Pierre à la recherche d’un lieu de découverte et ce devint vite le lieu d'un rendez-vous extrêmement fréquent. Sa boutique et lui nous aimantaient. Pierre était et restera dans les cœurs LE caviste à bière de Bruxelles. 
Dans les hommages post-mortem il est tellement fréquent de dire du bien des gens fraîchement disparus que cette généralité pourrait déforcer mon message, il m’incombe donc d’insister et de témoigner. Pierre est sans doute l’une des personnes les plus gentilles, douces et à l’écoute des autres qu’il m’ait été donné de rencontrer. C’était un commerçant magnifique, et pas dans le sens d’être un bon commercial, ça, la rentabilité, la performance ce n’étaient pas sa préoccupation. Il avait une telle générosité que même si vous n’aimiez pas la bière en ressortant de sa boutique, vous ne pouviez que  ressortir conquis. Il pouvait vous parler deux heures avec le sourire même si vous n’achetiez rien, chez lui aucune animosité. Sa boutique, même si l’agencement s’est amélioré grâce, je l’ai toujours suspecté, à l’apport d’une touche féminine, était faite de brics et de brocs. On se faufilait entre les casiers en attente de délestage. 
Je me souviens que lors de nos discussions qui duraient des heures, je l’aidais discrètement à avancer les bouteilles de ses rayons pour qu’elles prennent place aux premiers rangs désertés par l’achat des clients de la journée, ou peut-être même de la veille. Ces étagères en bois brut et un peu branlantes, je les connaissais par cœur. 

Un de mes premiers souvenirs marquant, fut lorsque nous achetèrent avec Jérôme (qui fut caviste par la suite à son tour) notamment une Oude Kriek de chez Boon, la couleur de cette bière ... Mais il faut tout replacer dans le contexte, Pierre était un pionnier. Il aimait les produits et le travail des hommes derrière, il découvrait et faisait découvrir bien avant tout le monde. Même tout suisse qu’il était, il était plus belge que tous ceux que je pus croiser par la suite, et connaissais les produits et les brasseries sur le bout des doigts. Il faisait ses tournées au moins deux jours par semaine et allait à la source. Ce n’était à l'époque pas encore la grande mode dévastatrice des bières distinguées. Il ne thésaurisait d’ailleurs pas et n’exploitait pas ses découvertes ni les raretés pour faire de grosses marges, à l’inverse de certains scandaleux qui n’hésitaient pas, quand c’était encore possible, à piller Westvleteren et à vendre cela à prix d’or. 
Tous mes amis qui ont appris à découvrir la bière belge le doivent finalement à lui, ainsi que tous les excès qui purent s’en suivre. Sachant qu’à l’époque boire des bières qui titraient plus de 7° était très très rare en France, un bon nombre fut surpris.

Pierre était un bavard. Là je vois déjà ceux qui me connaissent se dire oula, si Philou dit ça, lui qui est déjà capable de tenir 2 heures sur n'importe quel sujet, ça devait être quelque chose. Et j’avoue, il me surclassait, à tel point que mon épouse, qui n’était encore que ma petite copine à l’époque voyait le traquenard arriver dès que nous nous rapprochions de la ruelle et essayait d'éviter le chemin qui s'achevait par deux heures de discussions sur la bière et autres sujets philosophiques ...
Je pense qu’il était quasi impossible de ne pas tomber sous son charme. J’ai du amener plus d’une cinquantaine de personnes chez lui et à chaque fois le même effet, ouaou trop génial. Je lui dois beaucoup, lorsque j’avais un coup de mou, il avait toujours la patience pour écouter et c’est moi qui prenait le rôle du bavard. J’en ai passé du temps dans sa boutique. Et hélas, ces dernières années, sa réduction d’activité due à sa maladie ainsi que l’éloignement naturel du aux petites nuisances et préoccupations d’une vie plus chargée de responsabilités de mon côté, ne m’ont pas permis de passer assez de temps avec lui. Nous nous étions promis comme il ne travaillait plus le dimanche d’en passer un ensemble en familles. 
Lorsque j’ai appris sa disparition lundi matin j’en fus choqué, je n’avais pas suivi le parcours des dernières semaines, et bien évidemment je m’en veux de n’avoir pas su être là. Je n’y peux plus rien sauf penser à sa compagne Ann et à sa très jeune fille Zoé. 
Heureusement me reste un nombre incroyable de bons souvenirs que j’espère pouvoir raconter à sa fille quand elle sera en âge de poser des questions et d’avoir des souvenirs. Vu le nombre de personnes que Pierre a marqué positivement, je me dis qu’elle aura une image d’un superman joyeux avec un tablier de caviste en guise de cape. 

Je me souviens du jour où il m’expliquait que ses tournées prenaient un temps fou car les brasseurs étaient trop bavards, là je ne sais plus si nous l’avons pensé juste très fort mais nous avions à l'esprit - "euh tu veux dire encore plus que toi ?" Je ne l’avais pas cru sur le coup et puis un jour je me suis embarqué avec lui pour faire une tournée, et c’est vrai que je ne sais si c’est lui qui générait le climat parfait pour parler, mais j’ai vu qu’il avait bel et bien raison. Il était dur de rester moins de deux heures chez un brasseur. Nous avions ramené à l’époque une étrange bouteille trouvée dans le fond du hangar d’un grossiste, une Lindemans Cassis vieille version brassée pour l’export, bière que nous bûmes quelques années plus tard et qui n’était pas si mauvaise. Mais côté coup de cœur C’est bien évidemment Pierre qui me fit découvrir les De Cam, Hanssens et Oude Beersel (ancien propriétaire), la GluhKriek de chez Liefemans, la Rochefort de Noël en magnum, la Lamoral D’Egmont, la Fantôme quand elle n’était pas loupée et tant d’autres merveilles, pour la plupart des versions éphémères que nous faisions vieillir.   
Avec son sourire, ses cheveux mi-longs plaqués de façon improbable il avait un style British, les fans de foot se souviendront qu’il était fan de Chelsea et qu’il prononçait le nom de son club favori avec un accent anglais tellement forcé. Dès lors, dès que j’entends dire Chelsea, je pense à lui.

Et puis c’est comme je l’ai dit grâce à Pierre que je pus devenir à un moment un vrai expert passionné de bière et animer notamment pour le mariage d’amis proches des séance de dégustation, des soirées de clubs d’anciens, etc …
C’est également lui qui m’aida pour mon mariage à trouver l’inspiration et le matériel de dégustation. J’ai une image de lui ce jour de bonheur, avec une veste saumon en train d’expliquer aux amis à sa table quelles étaient les deux bières que nous avions sélectionné pour accompagner le fromage (une Chimay rouge et une blanche de la brasserie Vandenbosche qui accompagnaient parfaitement les fromages sélectionnés, ces derniers en revanche je ne m’en souviens pas mais ils ont au moins servi de prétexte). Son visage s'illuminait, ses joues souriantes et qui me faisaient penser à celles d’un poupon rougissaient légèrement, et  ses yeux scintillaient quand il parlait de son sujet de prédilection. C’était un passionné passionnant qui inspira des vocations. Je me souviens encore d’une balade derrière les champs de l’auberge de Poteaupré alors que nous avions grâce à lui et au responsable commercial de Chimay visité l’abbaye, chaîne d’embouteillage mais aussi l’intérieur de l’abbaye ou la bière est réellement produite. C’est d’ailleurs ma consommation excessive de Chimay qui l’avait obligé à stopper le mini van, pour me laisser prendre l’air (seuls ceux présents sauront ce qui s’est vraiment passé). 
Je me souviens également de week-ends de la bière avec lui, de restaurants, de rencontres. C’était un fan du bon vivre, il avait passé son diplôme de cuisinier avec un stage notamment au fameux Restobières (ancienne adresse). Je suis aussi passé à la télé avec lui, pour une séance de dégustation dans l’émission Tournée Générale avec Ray Cox...
Pierre était devenu une institution à lui tout seul, une légende que j’espère il restera le plus longtemps possible. J’espère que certains brasseurs lui dédieront une cuvée, qu’on se souviendra de lui. En tout cas j’ai perdu un ami, quelqu’un qui faisait le bien autour de lui et qui était assez fort pour vivre en gardant sa gentillesse et sa bienheureuse naïveté. Quand il m’avait raconté la découverte de sa maladie il y mettait autant de gravité que le commun des mortels parlant de l’achat d’une machine à laver défectueuse. 

Il avait la grande classe, la classe des gens qui arrivent à garder le sourire. 

Pierre tu vas terriblement me manquer.