mardi 22 novembre 2016

L'Arpège, Alain Passard

Alain Passard, Arpège, ça vous dit forcément quelque chose. Même si ce n’est pas le chef des plus médiatiques ni le restaurant où vont forcément les stars bling bling, un coin de votre tête vous dit, oui mais si ça me dit bien un truc … Et pour un restaurant qui fête ses 30 ans et ses 20 ans en tant que triplement étoilé c’est la moindre des choses. Pour faire vite, l’apparition du foin dans la cuisine, c’est lui, le corps à corps canard poulet c’est lui aussi, et surtout le développement de la passion du légume en cycle utra-court avec les deux (même trois maintenant)  jardins en région (comme l’on dit maintenant) qui alimentent tous les jours le restaurant avec des légumes de saison cueillis ou coupés le matin même c’est lui aussi. Aujourd’hui bon nombre de chefs à succès sont passés dans cette maison et font de belles carrières.
Alors oui, vous ne voyez pas souvent Alain Passard sur les plateaux télé, ni n’avez de brasseries disséminées partout sur le globe avec sa patte, mais ce n’est que pour mieux le trouver avec quasi-certitude en salle auprès de ses hôtes.

Un de mes amis étant fan et suivant le chef sans y être encore allé m’a convaincu d’y réserver et de se faire une soirée entre potes dans ce restaurant qui restera sans doute l’un de mes plus beaux souvenirs gastronomiques.
Je n’ai pas mis sur ce blog d’articles sur toutes mes expériences gastronomiques mais je commence à avoir un référentiel non négligeable au niveau des grandes tables en France et en Belgique et là je peux dire qu’on est dans la très haute gastronomie.

Nous voici Rue de Varenne, passant devant l'hôtel de Matignon et  voyant au coin de la rue attroupés un groupe de jeunes hommes à la porte, groupe voulant sans doute essayer de s’imposer sans avoir réservé (soit par bravade soit pas ignorance) et c’est le chef lui même qui les prend par l’épaule pour les éconduire avec toute la sympathie et la bonhomie d’un tenancier d’auberge où il fait bon vivre, leur indiquant un autre lieu dans les environs où il pourrait y avoir de la place. Au milieu de cette animation nous nous faufilons et entrons.

J’avoue avoir été surpris par la salle, car on y rentre directement, c’est assez serré, c’est Paris dans un quartier où même ici on ne peut pas se permettre de prendre trop d’espace. Le cadre est cependant très soigné avec des incrustations de Lalique dans les murs parés de bois, mais il est certain que ce n’est pas le cadre qui fait la légende du lieu. C’est juste ce qu’il faut.
Nous nous installons, il y a un grand nombre de serveurs et sommeliers, c’est très vivant, et le chef est donc bien là, dégageant à la fois une passion et une sympathie communicative.
La carte arrive, avec un menu découverte et un menu de légumes. En effet, si ce n’est pas malgré ce que pensent les mal-informés un restaurant seulement végétarien le travail des jardins et les produits arrivés cueillis le même jour sont l’essence et la particularité du lieu. Concernant les vins j’ai entendu et lu beaucoup de choses disant que c’était impayable, alors oui crevons l'abcès de suite c’est cher. Les menus complets des trois étoiles à Paris sont au minimum à 300€, on n’y coupe pas ici et pour le vin de très belles bouteilles se succèdent. Cependant nous avons réussi à nous faire plaisir avec deux bouteilles dans un budget tout à fait raisonnable pour la qualité, l’accord et le lieu.
Le service tout comme service excellent s’adapte à notre table et comprend que nous sommes là pour prendre du plaisir, qu’il n’y aura pas de snobisme déplacé et que nous n’économiserons pas nos “miams” et autres sons liés aux vifs plaisirs gustatifs.

En apéritif, le champagne blanc de blanc Terroirs d’Agrapart & Fils est un beau choix, choix certes d’une maison qui a le vent en poupe mais c’est frais et tendu.
Nous commençons avec un œuf chaud-froid 4 épices, et là, première claque, qu’est-ce que c’est long en bouche, ahah, un truc de dingue (pour vous plonger dans l’ambiance de notre table), c’est fou, ça reste, c’est bon, miam, et ce n’est que le début. Ensuite les Saint-Jacques en ceviche sont très élégantes avec un travail sur le cru (notamment de l’accompagnement de légumes finement taillés) et l’acide. Puis premier moment subjuguant et gourmand, plat en trompe l’œil avec des tagliatelles de céleri Monarch, on en aurait repris et repris. Les ravioles de légumes sont aussi à tomber avec un consommé extrêmement surprenant, à base de légumes racines, le résultat est étonnant (je n’ose laissé ici à quoi cela pouvait faire penser pour vous laisser la surprise). Le gratin d’oignon ensuite, extrêmement fin, au parmesan est un bonheur de gourmandise, on est bien, dans le chaud, dans le bon gras. Et puis clac, rattrapés par la patrouille, totalement rafraîchis par des petits poireaux parfaitement apprêtés et une émulsion d'huîtres. Ça contraste, ça tranche même, les papilles sont réveillées et l’on sent toute la force du poireau très croquant, sans aucune amertume, pur plaisir terre et mer. Et ce n’était que pour annoncer un des plus beaux moments, un tartare végétal fait de betteraves. En prenant la première bouchée la complexité du goût de la betterave convie à l’extase, on sent le fumé du bois de hêtre qui a caressé le légume pendant l’après-midi sans le choquer. Je ne vais pas tout décrire pour ne pas vous gâcher toute surprise mais c’est sublime. Le poisson ensuite a une texture ferme et jouissive, accompagné de petites pommes de terre à tomber ainsi que d’une purée de légume avec une longueur exceptionnelle encore une fois. Pour la viande nous avions demandé le corps à corps, c’est impressionnant.

Et les desserts, ce paris-brest à la crème de BIP (à vous de découvrir), non sucré de fait, un régal. Je pourrais encore écrire sur la pâte feuilletée, le plat crémeux et glacé très gentiment offert ainsi que des mignardises exquises, mais ce serait trop. Vous l’avez compris, un régal avec un service très sympathique et un chef d’exception de par son travail, mais aussi de par sa prise de conscience de la durabilité de l’écosystème et le changement de cap qu’il a osé faire début des années 2000. La terre nous offre de meilleur ce qui est de saison, et quand on voit à quel point sont magnifiés les légumes qu’il nous sert, on ne peut que le suivre. Cela fait une très bonne raison d’y retourner à une autre saison. Donc merci Chef pour cette belle découverte et ce régal et j’espère à bientôt.