dimanche 29 novembre 2009

De la lecture négative - inspiré par la Confession négative de Richard Millet

Un de mes amis, critique littéraire à ses heures, m’avait envoyé le lien pour l’une de ses critiques qui me donna envie de me procurer l’ouvrage dont il était question, La Confession négative de Richard Millet.

Je ne vais pas refaire le match car vous verrez que je n’ai rien à ajouter à la critique littéraire précitée. En revanche cette aventure a mis en exergue un autre problème, celui de la censure passive et de la mauvaise lecture. Je ne connaissais pas Richard Millet et n’avais qu’une peur lorsque j’ai pris connaissance de son nom, qu’il soit de la famille de Catherine Millet et qu’il ne soit pas plus doué qu’elle. Je vous rassure, cet homme est un écrivain, c’est d’ailleurs le thème de sa Confession négative. Alors me direz-vous qu’y a-t’il à censurer sur ce thème, bel et bien rien en théorie, à moins que les propos soient jugés sans avoir été lus, ou bien qu’ils l’aient été avec un nombre d’aprioris trop grand.

Relativement optimiste, le livre n’ayant que deux, trois mois d’existence je me rends dans la plus grande (en terme de superficie) librairie de la ville, me hasarde dans différents rayons, tâtonne, m’y prends scientifiquement, par style, par auteur, par collection, rien sauf quelques ouvrages à la tranche légèrement jaunie en collection de poche, mais pas le dernier récit de Millet. Combattant le dégout que m’inspire l’échange avec la vendeuse qui m’avait déjà par plusieurs fois égratigné les oreilles en faisant l’éloge d’ouvrages extrêmement médiocres comme ceux de Angot ou encore Beigbeider, je lui demande si elle peut dans son extrême bonté m’indiquer si oui ou non ils ont l’ouvrage en stock. Au nom de Millet, son visage se glace, le ton devient presque toisant et elle me gratifie d’un snobinard : « Il faut que je regarde je ne lis pas ce genre de chose » suivi d’un « C’est un essai n’est-ce pas ? » pour me montrer son omniscience, même sur les choses qui ne sont pas digne d’intérêt.

Il s’agit non pas d’un essai, mais bel et bien du récit autobiographique d’un jeune homme qui s’aventurera au Liban et participera à la guerre civile aux côté des Chrétiens qui se sont opposés à l’installation et à la prise de pouvoir de Palestiniens d’antan soutenus par le bloc de l’est. Ayant rejoint ce qu’on dénommera dans notre presse comme les phalanges libanaises ou maronites, connotant négativement ce mouvement dès le départ, l’opinion d’alors préférant supporter les causes progressistes et un peu plus rouges, il portera dès lors et à tort la marque d’une espèce de facho anti-musulman. N’ayant pas hésité à tenir des propos durs envers ses confrères et ses détracteurs, non adepte de la langue de bois, appelant un barbare non tolérant et criminel par son nom (un terroriste) , Richard Millet semble être l’antithèse de l’écrivain à la mode chez nous. En général soit un gars de bonne famille faisant à moitié le rebelle et s’étant fais vivre en allant assister à la commémoration de la chute du mur de Berlin ou en assistant à la célébration de la victoire de Sarkozy place de la Concorde soit une fille à problème qui passera 25 romans à nous dire que ça y est, à 55 ans et sans doute un peu grâce à la ménopause, elle a enfin eu son premier orgasme avec un gars dans un bar qui avait le regard sauvage, des mains de camionneurs qui contrastaient avec son nez fin de dieu romain. Pas de fioriture dans cet ouvrage, de la perdition et de l’oscillation entre l’enfer sur terre et l’enfer mental, sentiment de malaise, volonté de trouver sa voie, quelque peu trop de madeleine de Proust à mon goût au, du sang, de la chaleur, des pulsions sexuelles violentes, de la littérature …

Partant bredouille avec ce nuage gris au-dessus de la tête apparu depuis ce jugement nauséabond de la vendeuse de Filigranes, je n’emplois pas le terme libraire qui relève d’un certain professionnalisme qui fait cruellement défaut à cette assidue lectrice des Madeleine Chapsal et autres gloires littéraires que j’aime tant…

Ne capitulant pas j’eu la chance de trouver un exemplaire dans une autre librairie où je traçai mon chemin solitairement en me gardant de demander aux vendeurs souhaitant éviter la lapidation publique en un si beau dimanche.

Par la suite j’appris qu’il y avait un réel boycotte autour de cet auteur, qui pourtant était publié dans la blanche de Gallimard, pas rien mon garçon. Sans doute est-ce dû à son radicalisme littéraire qui n’épargne presqu’aucun de ses « collègues ». C’est bien dommage, surtout de juger sans lire, c’est dangereux. Si l’opinion s’était figée après guerre nous aurions été privés des ouvrages majeurs de Céline, Nietzche, Heidegger, Morand et bien d’autres.

Alors que l’on se rend compte que notre système éducatif peine à enseigner à lire, les cours de rattrapage ne semblent pas seulement nécessaires pour nos jeunes collégiens mais aussi pour ceux qui se permettent de donner leur avis et d’user de leur position pour influencer les opinions. Et tout cela sans avoir essayé ni compris l’essence du texte. Alors avant de tomber sur un bon libraire, et heureusement il y en a plus que ce qu’un pessimiste peut penser, jugez par vous-même et dès que vous aurez acquis une certaine connaissance d’une œuvre, attention, c’est précisément à ce moment que les risques de faux sens sont les plus grands.

Les œuvres sont d’autant plus complexes qu’elles ont une partie réfléchissante perturbante et trouble, le lecteur ayant sa part de responsabilité dans la compréhension qu’il en a. Ce furent bien souvent les lecteurs commettant les plus grands faux sens qui tâchèrent l’histoire de leur morbide passage.

samedi 28 novembre 2009

Trop de media tue l'informaton.

Dernièrement j’ai eu un petit choc lorsqu’un des piliers de mon système référent s’est écroulé. Ayant toujours voué une grande admiration pour les grands reporters la fermeture (il s’agit bien de cela) de la grande agence de photojournalisme Gamma, créée entre autres par Raymond Depardon, m’a attristé.

Le débat n’est pas ici de parler de la véracité des propos et de la réelle impartialité des journalistes qui nous transmettent les informations malgré tout par leur subjectivité, constituée elle-même des valeurs et principes qui règnent ou sont en vogue dans notre pays. Mais dans tous ces méandres quelquefois d’influence la photo m’a toujours semblé comme le média le plus pur car le plus direct et réel. Bien entendu comme tout objet de communication il fut et reste un objet fortement utilisé pour la propagande. Certaines personnes pouvant disparaître comme Trotsky après 1941. Toujours est-il que ces photojournalistes ont toujours eu comme principale intention de rapporter l’image brute et crue qui nous permette soit de comprendre soit de réfuter en bloc, mais avant tout de nous présenter une image de la réalité. Ces clichés pénètrent dans notre inconscient et sont bien souvent les seuls images de réalité qui nous reste, comme, pour remonter un peu plus loin, les images du débarquement prises par Robert Capa ainsi que celle de la guerre du Vietnam prises par Don McCullin.

Gage d’une qualité et d’une éthique que l’on ne contestait que très rarement, cette spécialité française du photojournalisme a en quelque sorte écrit l’histoire jusqu’à aujourd’hui, mais aujourd’hui seulement. Il semble bien que la mutation du monde media et l’explosion des sources d’informations professionnelles aient assassiné cette profession. Les photographes professionnels de l’agence doivent donc être aujourd’hui sur le pas de la porte et avoir un goût amer dans la bouche. Certains auraient presque le droit de regretter ne pas avoir fait dans la facilité en se convertissant en photographe de studio grâce à quoi ils auraient pourtant bien mieux gagner leur vie.

Donc fini les photos marquantes et significatives, bonjour aux photos aléatoires dont on ne connaitra pour la plupart jamais la provenance. Une bonne photo avec un téléphone portable montrant une manifestation, une guerre civile même. C’est super, il n’a jamais été aussi facile de se procurer de l’info, et d’en retransmettre malgré les interdits politiques en passant par-dessus les frontières qu’internet ne connaît presque pas. Ainsi les images des émeutes en Iran sont apparues et nous avons eu comme une vision interne de ces moments étouffés par le gouvernement. D’un côté je ne peux que m’en réjouir, fini les opérations en vase clos … et pourtant, j’aurais toujours un doute plus affirmé qu’auparavant. D’où peut donc bien venir cette photo ? Qui était le photographe ? Que montre-t-elle ? Retranscrit-elle les évènements ? N’est-ce pas en fait une photo qui n’a d’autre rôle que de manipuler ?

Ces questions restent de plus en plus en suspens mais ne semblent pas inquiéter les journaux télévisés qui ont pris l’habitude de se contenter d’images sans carte de visite. C’est un débat parallèle mais très proche que celui des films (qui sont aussi fait avec les même outils à disposition d’un très grand nombre) comme posté par youtube qui montrait la mise à sac de magasins à Poitiers mais surtout les actions violentes de CRS ont été repris dans les 20h comme la seule image de ce qui s’était passé. Au lieu de ne pas avoir d’images, une belle aubaine … mais de grande gravité. Il suffit de consulter le site web d’arrêt sur images pour voir qu’il n’est pas rare pour la même séquence d’avoir des contextes différents ainsi que des traductions qui ont des sens opposés entre TF1 et France2 par exemple. Grâce à cette pléthore les coûts sont bien moindres comme si la vérité avait un prix.

Un peu démago comme sentence, je suis d’accord mais ne peux dissimuler ma peur une nouvelle fois de voir la liberté d’expression et plus particulièrement d’appréciation tronquée dès le départ par une maîtrise et une interprétation libres des informations par des manipulations politiques. Si j’étais Mahmoud Ahmadinejad avant de continuer mes développements nucléaires j’équiperais mes équipes technologiquement pour permettre de capter les émissions sortantes et j’en émettrai à la place, créant une réalité totalement virtuelle en abreuvant de tweets, de vidéos youtube et d’autres messages le monde en disant par exemple que les désordres sont dirigés par Tsahal qui n’hésite pas à mettre à mort des Iraniens récalcitrants. Pourquoi pas ? Ca ne paraît techniquement pas si difficile à réaliser que cela et comme il y aura bientôt de moins en moins de contingent de journalistes, qui pourra dire un jour qu’il s’agit de manipulation et d’un mensonge?

dimanche 25 octobre 2009

Le chat et la souris politique : le Sarkozy Nouveau est arrivé !

Ça m’énerve ces débats à deux francs six sous qui n’ont comme finalité que l’augmentation du temps d’antenne accordée à la famille Sarkozy. Alors histoire de m’inscrire dans cette néfaste tendance voici que ma trop rare prose s’en mêle. Bah oui, les sonnettes d’alarme on a beau les tirer, ça ne change pas grande chose.
Les débats ont heureusement le mérite d’exister sur nos antennes, une nouvelle fois toute mon admiration à l’émission de Frédéric Taddei qui survit et sait se régénérer pas son traitement de l’info, dynamisant son traitement par des revues de presses, instaurant des nouveaux mécanismes media avec des interviews et concerts d’artistes dont des exclues live se prolongent sur internet. La semaine dernière le népotisme présidentiel a été traité et pour approfondir je vous invite à aller directement regarder l’émission de très bonne facture du mercredi 14 octobre.

Il est en revanche hallucinant de voir les débats se multiplier sur ce sujet. Hier par exemple à l’émission de Ruquier ou un simulacre de vestige de la droite essayait de nous faire croire que JS était le nouveau messie. Selon moi il n’y a pas de polémique. Si cette personne, de 23 ans maintenant n’avait été fils de il n’aurait jamais été élu et l’histoire s’arrêterait là. Ce qui est plus étonnant c’est en quelque sorte le retard dans la réaction. Qu’un des élus soit nommé à la tête de l’EPAD c’est normal, qu’il s’agisse de lui vu son nom et le poids de son nom au niveau international je dirais même pourquoi pas. Le gros point d’interrogation concerne le foin qui est fait aujourd’hui alors qu’il aurait dû être d’autant plus véloce au moment de son élection au conseil général. Certains en avaient parlé, disant que le président préparait son fils à prendre la suite, c’est sans doute vrai, mais pourquoi ne réagir réellement que maintenant.
Qu’il ait pu accéder à son premier mandat politique grâce à son nom c’est donc évident et c’est ne lui apporter que trop d’importance que de polémiquer et de lui offrir une telle couverture médiatique. Il n’est pas rare de voir des fils/fille de devenir membre du CA de l’entreprise de leur père comme au sein de LVMH par exemple, ou de voir des enfants catapultés à des postes dont ils n’ont pas les compétences qui seraient requises de candidats lambdas. C’est rageant mais c’être trop naïf que de croire qu’il s’agit d’une exception.
Le pouvoir aime son cercle restreint. Dans des pays comme la Belgique mon expérience de chasseur de têtes m’a fait réaliser qu’une bonne partie des cadres dirigeants n’étaient pas nommés dans leur premier poste clé grâce à leur formation ou expérience (n’en ayant souvent pas pour la seconde et la première étant acheté à coups de milliers d’euros et offerts sur tapis vert par leurs parents soucieux qu’ils fréquentent des institutions de renom) mais bien par leur filiation : « Tiens tu verras en entretien le fils de mon ami … - pourquoi ? – c’est une jeune prometteur - ah bon et comment tu vois ça – si si ne t’inquiète pas et en plus c’est le fils de mon ami Pierre Delhaize … » Une fois que ces enfants prodigues ont pris le bon ascenseur libre à eux de s’exprimer, et s’ils comprennent vite et sont relativement bons, le succès est assuré. Ce n’est plus à ce moment que l’on peut les critiquer, car s’ils subsistent ce sera le plus souvent par un certain nombre de qualités dont ils font preuve. Souvent exposés à des problématiques complexes assez jeunes ils sauront démontrer une maturité et une mise en perspective stratégique qui les distinguera. L’injustice, si on peut employer ce terme car ce sont les personnes qui rédigent ces lois écrites ou tacites qui l’exercent, est à la base, au premier poste, à l’accession au premier niveau de pouvoir.
En ce qui concerne JS, c’est cette première injustice qu’il faut condamner. Faire sur lui un procès de compétence ne sert à rien. Bien entendu il n’est pas la personne la plus compétente, mais n’est-il pas juste la plus influente ? En entreprise les CEO et Chairman ne sont pas forcément les plus compétents, du moins pas d’un point de vue exécutif. Ils ont simplement d’autres atouts.

Le fait que JS refuse sa nomination est en revanche plus intrigant et je ne sais si l’on peut l’attribuer à une émotivité paternelle ou à un élan romantique filial. Cette action ne peut que servir des dessins à moyen terme mais repose sur la certitude de la réélection du père à la tête de l’état. Il faudra au moins une nouvelle année pour que JS puisse se montrer, voir plus, et à ce moment les media ni l’opinion publique ne pourront plus rien lui refuser et pas même un portefeuille de ministre ou secrétaire d’état. Faisons les paris ! Si le père est réélu je vois le fils ministre dans les 5 ans, pas moins.

vendredi 25 septembre 2009

I got the blues

Petit hommage à l’initiative de Martin Scorcèse d'il y a déjà plus de cinq ans et qui avait comme objet de rendre hommage à sa musique préférée, le blues.
Grâce à lui et au déstockage des coffrets reprenant les 7 DVDs ainsi qu'au coffret musical des 5 Cds qui reprend l’essentiel des chansons citées lors des films je suis devenu fan. On ne devient pas fan de cette musique a priori relativement simple en une fois.

C’est très étrange, il semble que cette musique doive d'abord passer au travers de nos différentes carapaces qui en général sont plus réceptives aux musiques simplistes grâce auxquelles nous ne pouvons au mieux que ressentir un vague désir sexuel si le tout est arrosé de plusieurs vodka-redbulls.

Je n’ai pas encore eu l’occasion de visualiser l’ensemble des films documentaires, chacun réalisé par un metteur en scène différent et portant sur un thème particulier, mais après en avoir vu la moitié et surtout écouté en boucle les différents disques, de Skip James à Taj Mahal, j’ai été pris au tripes. Pris par ces rythmes qu’on ne peut s’empêcher de dissocier des rites tribaux africains. Cette pulsion du cœur et de l’âme qui s’exprime par la musique, cette profondeur abyssale qui permet de s’élever. Tout ceux qui ont écrit à son propos, ont toujours fait l’éloge de la musique sans toujours d’ailleurs se justifier. Car quel besoin, il suffit, d’écouter un clapotis ou du vent dans les arbres pour se sentir apaisé et comprendre le côté essentiel qu’a la musique, naturelle ou composée, dans nos vies. Je ne peux développer comme ceux qui ont prouvé qu’il était plus facile d’apprendre en écoutant du Mozart, mais cette énergie qui va au cœur en ce qui concerne le blues est venue essentiellement des champs de coton, et plus particulièrement du delta du Mississipi.

Véritable exutoire à la dure vie d’esclave/travailleur manuel, les blues-men avaient une capacité à parler net et directement à l’âme de leurs auditeurs. Je répète énormément ce mot âme, mais prenez cette chanson d’Othar Turner, Shortnin’, où les percussions s’entremêlent surplombée par un air de fifre qu’on aurait vite fait de juger comme jouant faux s’il n’était utilisé avec une telle puissance. « C’est l’homme qui fait parler l’instrument, si tu ne mets rien dedans rien de bon ne sort » et c’est ce qui fait la force du blues, l’impression que celui qui joue s’ouvre les tripes et nous les sort telles quelles devant nous, sans crier gare, encore chaudes de ses expériences. Ce serait trop réducteur de ne parler que de l’émotion générée par ces personnages pour la plupart issus de la classe la plus prolétaire qui soit. La maîtrise de leur instrument est énorme, d’autant plus que comme ils le font remarquer, ils arrivaient à sortir des sons d’instruments moins systématiques et parfaits qu'aujourd’hui. C’est peut-être aussi en partie ce qui fait le charme de cette musique, d’avoir un corde qui frotte, une caisse qui résonne trop et une voie qui déraille sous l’émotion.
Le parcours qu’offre Scorcèse a le mérite, comme il le dit lui-même d’un de ces prédécesseurs qui avaient parcouru le monde entier afin d’enregistrer la musique partout dans le monde, d’ancrer dans les mémoires des morceaux d’émotions, reflets eux-mêmes de morceaux d’histoire avant qu’ils ne s’éteignent avec leurs derniers interprètes.

Plongez vous dans Blind Willie Jonhson, Son House, Charley Patton, Robert Johnson et tous les autres sans hésiter, ne vous fiez pas à votre première impression, laissez les disques tourner et vous verrez des vies entières défiler avec leur lot de sentiments universels.

lundi 31 août 2009

Un prophète de Jacques Audiard

Certains films vous laissent une étrange impression, comme si tout ne s’était pas encore livré, comme si nous n’avions pas pu tout prendre en une fois, un peu comme un gâteau ou certains ingrédients vous demeurent inconnus et frustrent légèrement votre plaisir.
Certains films n’ont rien de sexy, se contentant de coucher sur bobine une réalité évidente qui finit pas nous saisir d’autant plus qu’elle est véridique et loin de tout sensationnel.
Certains films français ne se contentent pas de raconter les errements sentimentaux de personnes perdus dans leur temps en proie au malaise qui naît de la décorrélation entre leurs valeurs et l’évolution du monde mais vont plus loin pour toucher une réalité universelle, tellement universelle qu’elle peut être difficile à cerner.
Certains films sont écrits et réalisés de main de maître et peu de films allient toutes les qualités citées précédemment.
C’est donc d’une perle rare dont je suis encore sous le choc cognitif dont il s’agit. Pour ceux qui ne le remettent pas, Jacques Audiard, fils de, nous avait déjà offert une balle fulgurante avec « De battre mon cœur s’est arrêté ! », touchant une dimension émotionnelle pleine de réalité que beaucoup de ses compatriotes ont peiné à mettre en scène depuis une vingtaine d’années. Et bien rebelote, une nouvelle balle ou pourquoi ne pas lâcher le morceau, une lame de rasoir aussi affutée que mortelle vient sur nos écrans avec « Un prophète ». Pour faire une critique décortiquée il faudrait bien plus d’un visionnage et je suis certain que les journalistes qui l’ont vu présenté à Cannes et plus récemment pour sa sortie auront vite fait de crier au génie en analysant chaque recoin sombre de cette prison. Je ne peux que, dans mon cas, vous parler des émotions encore vivaces que ce film a généré. Sans être intrusif et surtout sans se prêter à guider le spectateur dans ne serait-ce que la moindre interprétation, ce film a la force de nous faire entrer dans un monde loin de paillettes mais tout autant stupéfiant par son réalisme et ses murs de bétons froids.
Un jeune homme, qui ne sait pas trop ce qu’il a fait, qui ne sait pas trop écrire, qui ne sait pas où il est, tombe dans l’enfer d’une prison bien civilisée. Agressions, clans, corruption tout est présent tout en nous préservant des clichés enjolivés de la plupart des films américains. Les deux acteurs principaux interprétant le jeune arabe qui n’a rien à perdre et le vieux corse qui a tout à défendre sont impressionnants car sincères et réalistes. On suit l’évolution de ce tandem pendant 2h30 avec une impatience difficilement soutenable. Pour ceux qui préfèrent les pans-pans tu m’as eu, ils seront aussi servis par les quelques scènes rares mais efficaces qui donnent à ce film un véritable statut de film de gangster en univers carcéral.
Je ne veux pas vous en dire plus, c’est bien, c’est fin mais direct, émouvant et violent. Allez le voir ou guettez le quand il sera disponible.

mardi 30 juin 2009

C'est lait

Alors que Mickael Jackson est mort il en est certains qui continuent de se battre pour des centimes pas litres. On est loin du battage médiatique déchaîné par la triste et tragique mort du roi de la pop, et pourtant ils aimeraient bien. Il y a une dizaine de jours venaient sous mes fenêtres quelques 800 tracteurs afin d’émettre des meuglements protestataires lors d’un sommet européen rendant ainsi l’usage du nouveau velib fortement recommandé (ils sont forts chez Decaux).
Que se passe-t-il ? Le prix du lait totalement dérégulé mets nos éleveurs sur la paille, ok celle là elle est assez facile mais c’est hélas vrai. Le cours du lait s’effondre alors qu’en magasin le consommateur n’en voit pas la couleur, c’est assez laid. Dire que c’est étonnant, non, les cultivateurs s’insurgeaient déjà vivement ces dernières années, mais quand le cours d’achat est bien inférieur à celui de la production, évidemment on comprend le problème. Dans ce cas on se dit que l’offre est supérieure à la demande et c’est là qu’on se souvient de nos cours de lycée qui nous parlaient de politique agricole commune, avec des quotas, des sols en jachère, le tout pour maintenir un prix minimum, l’autre pour ne pas céder à la course aux rendements.
Alors quand Mariann Fischer Boels, lors de la manifestation, nie en partie le problème en refusant de céder aux pressions des agriculteurs qui souhaitaient qu’on diminue les quotas de production de 5% afin de revenir à des prix plus acceptables et que le problème vient seulement de la consommation, les poils de bœufs se hérissent. Si la consommation était plus basse on aurait dû observer une certaine baisse des prix des produits laitiers en grand surface ou du moins de réelles actions promotionnelles à grande échelle. Pourtant c’est loin d’être le cas. Les aides des états et de la commission européenne doivent-elles prendre le pas pour soulager ces agriculteurs, sans doute et certaines choses semblent déjà fonctionner (http://blogs.ec.europa.eu/fischer-boel/milk-crisis-no-time-for-stalling/) , mais n’est ce pas une nouvelle fois subir les plâtres d’un fonctionnement déséquilibré et subventionner en fin de compte des dividendes à l’autre bout de la chaîne.
J’aimerais que ces financements et ces aides publiques qui sont aujourd’hui nécessaires soient versées par les acheteurs de lait industriels, mais ils préfèrent mettre sous pression et étrangler les producteurs, se disant bien que l’argent publique règlera ça, et que mieux vaut augmenter les marges afin de pouvoir abreuver ces grosse vaches de grands actionnaires ou de fonds d’investissements. Pour tenter de faire bouger les choses, ces agriculteurs jouent le tout pour le tout afin de sensibiliser l’opinion publique et après avoir bloqué mon quartier pendant deux jours continuent à faire ce qu’ils peuvent comme bloquer le parlement à Luxembourg, bloquer des centrales d’approvisionnement. Certains avaient fait plus de 700 kms en tracteur pour venir d’Allemagne, pas très écolo tout ça, mais volontaire et obstiné.
Quand je me suis baladé pour faire un reportage photo, j’avais l’impression de voir des gamins, même pour les plus vieux, désorganisés, ne sachant pas où aller, pris et dépassés par l’évènement, pas violents pour un sou, faisant juste claquer quelques pétards pour les plus festifs, venus avec leur tente, leur barbecue, on se serait presque cru un moment sur les pelouses des campings des grands festivals d’été.
Et pourtant à part les media belges, les choses n’ont été que très peu relayées, notamment pas du tout en Allemagne d’où provenaient une grosse majorité des manifestants. Je ne sais quelle est la considération des media pour le monde agricole chez ce voisin mais j’espère qu’ils ne restent pas centrés sur les dernières sessions d’enregistrement de Tokyo Hotel. Car se couper de nos producteurs aux dures labeurs, ceux qui jouent le premier rôle de notre chaîne alimentaire et dont dépend la santé publique serait mortel. On a eu trop tendance à les dénigrer, alors qu’on remarque depuis deux décennies les affres d’une alimentation trop industrialisée.
Pour cela je voulais faire ce petit clin d’œil à ces producteurs de lait en espérant que le commerce équitable qu’on prône avec orgueil soit aussi d’application dans nos pays. Buvez du lait, et encore mieux allez le chercher à la ferme ;-).

dimanche 3 mai 2009

La mort d’un peuple : les dernières chasses des seigneurs de Béring de Frédéric Tonolli

Un documentaire sur un genre d’eskimos, perdus au bout du monde avec un nom étrange très peu connu, les Tchouktches. Au départ un premier périple au milieu de ces chasseurs de baleine, nous sommes en 1995, c’est la première visite du narrateur, on y découvre un équipage qui dans la lignée de ses ancêtres traque la baleine.
On apprend à connaître ces membres d’équipage, ces harponneurs et leurs enfants. Sans porter de jugement la narration s’avère très intime et on comprend que l’auteur des images nous raconte bien plus qu’une histoire mais une amitié qu’il aura nouée au fil de ses cinq voyages entre 1995 et 2008. Au tout début le titre ne semble pas adéquat, bien entendu les conditions de vie sont très difficiles, la coexistence avec le colonisateur russe pas forcément évidente. On chasse la baleine contre les rigueurs de la mer, le phoque contre celles de l’hiver et de la banquise qui ferme la mer. Ce documentaire ne saisit pas, il fait pénétrer tranquillement, de façon nonchalante, dans le quotidien exotique des personnages.
Et puis au fil des venues, des ans, le paysage change. Alors que la venue d’ouvriers envoyés par le gouvernement russe pour construire une église dont tout le monde se moque, les Tchouktches croyant aux esprits de la mer et de la toundra nous semble comique, on comprend vite qu’il s’agit bel et bien de l’extinction pur et simple d’une culture à laquelle on assiste, opprimée par des mutations lentes de leur environnement qui vont jusqu’à pousser les plus jeunes au suicide. Entre les venues de 2001 et 2005, plusieurs sont morts suicidés de gré ou de force. De braves chasseurs et harponneurs en chef comme Palkovnik ne sont plus là. L’esprit qui animait les valeureux chasseurs n’est plus là, les russes pressent, imposent leur loi, les contraignent à prendre la mer quand les papiers sont en règle, impose le russe comme seule langue essentielle à l’école. Les jeunes Tchouktches en viennent même à ne plus vouloir connaître leur histoire qui finit noyée dans l’alcool.
Les russes ont trouvé la solution, un sombre alcool blanc que les russes, anciens employés du gouvernement que l’on aura oublié après 2000, distillent et vendent aux autochtones, les rendant tout simplement alcooliques et dépressifs, ne parvenant plus à résister à leur environnement des plus difficiles. Une fille de 14 ans se pend, elle vivait avec un russe de 14 ans son aîné. On apprend qu’il distillait l’alcool local et que les parents de la jeune femme en abusait, et ne pouvant pas le payer ont offert leur fille contre des bouteilles gratuites toutes les semaines.
Les bateaux partent, reviennent avec la baleine et pour la première fois, la viande de baleine qui était traditionnellement partagée et offerte à toutes les personnes, sans oublier les plus vieux et impotents est devenue payante. Le coup de l’amitié d’après chasse n’est plus joyeux, la honte se lit sur les lèvres des chasseurs, pourtant comme le constate le narrateur avec une énorme tristesse pas de rébellion. Ce peuple est brimé et disparaît peu à peu. Le titre prends alors toute sa puissance. L’émotion nous emplit, devient insoutenable devant ces durs travailleurs qui ont résisté pendant des siècles aux rigueurs des -60° et autres dangers mais qui ne résistent pas à l’alcool qu’on leur aura fait prendre.
La Russie véritable dealer de ces Tchouktches, pour faire quoi ? ce ne sont pas les 17 derniers soldats qui restent défendre ce coin de territoire sans réel intérêt géopolitique qui sont l’enjeu. Pourquoi ? Hégémonie, volonté de garder un empire perdu coute que coute. Le gouvernement russe penserait-il que ces lopins de terre seraient réellement des clés déstabilisantes. Frédéric y retourne en 2008, on sent qu’il s’agit peut-être d’une dernière fois. Un malaise est palpable, il n’est plus autorisé à monter dans le bateau et à partir avec ses anciens compagnons. Dans les commentaires on sent la voix émue. Les autorités russes ont pu voir les premiers documentaires de l’auteur, montrant des hommes du gouvernement négociant de l’alcool de façon illicite et créant la dépendance financière des chasseurs. Il est devenu indésirable dans ce pays où les rites meurent.
Avant que sa caméra ne s’efface, il offre un piqure de rappel violent au téléspectateur, les touristes arrivent. A 1000$ la journée, on peut s’offrir un voyage chez les derniers chasseurs de Béring. Un spectacle dansant de 20 minutes, une visite dans le musée d’ivoire où personne ou presque ne peut expliquer la culture et la puissance des objets sculptés, et avec un peu de chance le dépeçage d’un morse. On se sent responsable de cette intrusion, comme gêné de voir que ces personnes paient un prix d’or la visite d’une vitrine. Le soleil ce couche, une dernière fois sur ce pays. On espère que les choses ne s’empirent pas, qu’un regain communautaire pour préserver les différences culturelles puisse surgir sans y croire, tout comme l’auteur. C’est un exemple. Comme de nombreuses espèces, les Tchouktches payent au prix fort les folies et l’avidité de nos gouvernants, asservissement par le tourisme, dérèglement climatique qui rendent l’environnement devenus insupportables. Comment oser se regarder dans une glace quand on est en premier lieu responsable ? Nous sommes bien entendu tous responsable. Il est trop facile de dire qu’on ne peut rien à notre niveau. Il ne faut pas, ce serait condamner la liberté, condamner la diversité, condamner la vie. Mais y aura-t-il un jour où les égoïsmes exacerbés s’arrêteront-ils ? où la responsabilité écologique et sociale prendra le dessus ? Des hommes se battent malgré tout comme ce réalisateur. C’est une lueur d’espoir qu’il faut encourager, le service publique est encore-là pour diffuser ces reportages non tapageurs. Espérons que les nabots égocentriques et avides de pouvoir n’asphyxieront pas ces derniers poumons de la liberté.

mardi 17 mars 2009

Le creux de la vague

Je me souviens être resté pantois devant cette couverture. Je n’avais pas encore de poil au menton et je lisais avec plaisir les romans d’aventure de Robert Louis Stevenon, conquis par l’île au trésor, intrigué par le Jekill et Hyde, charmé par Modestine, l’ânesse perdue dans les Cévennes, angoissé par Hermiston le juge pendeur.
Dans mes mains cette énigme qui débute avant même d’avoir fait craquer la reliure, ce creux de la vague et cette couverture fauve m’ont laissé longtemps hésitant. Au début, j’étais stressé par ce titre, être en bas, être enfoui par les eaux pour ne plus jamais remonter. Etre emporté par cet élément antiquement divin qui ne semble laisser aucune chance comme pour les barques des pécheurs « sous la vague au large de Kanagawa » d’Hokusai. Cette immensité synonyme d’éternité incertaine m’effrayait.
D’un autre côté j’étais dans l’espoir que ce creux de la vague ne soit que le point le plus bas et que le futur soit forcément positif, que cette ultime épreuve soit une voie vers la renaissance, la remontée vers la lumière et la possibilité de surfer sur les difficultés passées. J’avais ouvert cet ouvrage avec une impatience infantile et avais directement embarqué à bord d’un navire, véritable boîte à aventures. C’est la grande force de Stevenson que d’être capable d’écrire de véritables romans d’aventures, qu’on peut traduire facilement en captivante histoire pour enfant tout en y préservant une ambivalence ténue et persistante sans enfermer ses personnages dans un manichéisme de convention. L’homme, qui rêve de belles histoires, de belles rencontres, de richesses et de découvertes, Stevenson le confronte à ses limites et à un monde insaisissable, à des alter-ego déroutants et à des chimères cannibales.
Les trésors sont des illusions de bonheur qui une fois trouvés perdent tout leur sens, laissant les chasseurs dans le creux de la vague. La quête s’achève, les illusions ne sont plus et les tensions destructrices contenues par un but commun éclatent. L’homme est alors dans la lutte et n’est plus guidé par cette recherche d’évasion fructueuse. Il est dans la réalité : remonter ou couler ?
Aujourd’hui, la situation économique évoque en moi cette image, ce creux de la vague blanc ou noir, fin titanesque ou remise à plat … Pris entre le feu auquel nous soumettent les média et notre servitude vraisemblable au pouvoir d’achat, pas évident d’être optimiste.
Quelle motivation pour s’en sortir ? Celle de pouvoir faire autant qu’avant la crise ne me semble pas reluisante ? Consommer autant malgré la crise, ce sera pour certains bien difficile, mais est-ce pertinent, quel bonheur à cela ?
Ne pourrions-nous pas trouver de réelles voies vers la sérénité si ce n’est le bonheur. Pas besoin de rouler en Porsche, de jouer gros au Poker sans en connaître les finesses ni de prendre une douche au Clos du Mesnil pour réussir sa vie. Il est vrai que tous les canons et leurs images abondent dans ce sens, qu’il s’agisse de stars ou de politiques, c’est le pouvoir pour l’argent et l’argent pour le pouvoir. Je veux croire aujourd’hui que ce creux de la vague permette d’effacer ces fausses illusions, que de nouveaux objectifs de vie voient le jour.
Reprenons notre bon vieux Long John Silver, héros sombre et bicéphale de l’île au trésor, unijambiste au perroquet sur l’épaule, d’ailleurs le moule de notre vision moderne du pirate. Ce personnage complexe est animé par cette utopique ferveur d’un changement radical, faire un jackpot en trouvant le trésor de feu son capitaine. Serait-ce un juste retour des choses, sans doute le pense-t-il. En parallèle Silver se sent investit malgré lui d’une mission, l’éducation, la formation du jeune Jim Hawkins en qui il créera un double positif.
Même s’il ne parvient à s’évader qu’avec un sac de pièces, le pirate n’a-t-il pas accompli sa tâche en rendant Jim, le gentil héros, adulte, lui faisant comprendre d’un coup l’essence humaine et que la course aux chimères et à l’aventure n’est peut-être qu’un purgatoire terrestre vers la paix intérieur. Alors ne rejetons pas cette crise en remettant à plus tard toute course au trésor, relisons ces romans d’aventure et apprenons.

dimanche 1 mars 2009

De l'importance des ressources humaines

Ce sont dans les périodes de crise que les créations et différents types d’initiatives semblent se multiplier. Réponses à de nouvelles problématiques, ces inventions lorsqu’elles sont bien menées peuvent amener ceux qui les entreprennent au succès. Nous ne reviendrons pas sur la définition de l’homme comme être paradoxal, conscience naturellement motivée mais animal paresseux pour expliquer que la contrainte est souvent le catalyseur d’énergies le plus efficace. La contrainte comme incubateur de progrès ?
N’allez pas croire que je prêche ici une politique restrictive dans le but qu’elle soit subjuguée par la suite, c’est bien trop dangereux et le 20e siècle en a des exemples bien tristes. Toujours est-il que ce dépassement, cette capacité d’adaptation nous ont mené aujourd’hui à avoir affirmé la maîtrise de notre environnement. Certains doutes émergent cependant.
La liberté, généralisée au monde avec l’accession à l’indépendance des colonies, est une résultante du séisme que fut la seconde guerre mondiale et ses horreurs systématiques. Elle reste somme toute très récente dans nos pays « riches ».
L’exploitation de l’homme par l’homme semble avoir été jetée au pilon, les échanges humains notamment au travail s’inscrivant dans le respect d’un droit au bien-être, d’un droit à la propriété, d’un droit à la santé. Beaucoup de droits acquis et pourtant cette crise semble remettre en cause cette tranquillité de surface.
J’ai rencontré bon nombre de personnes dont le droit au respect et à la dignité ont été piétinés par des managements ne résonnant plus en tant qu’employeur social (dans le premier sens du terme) mais bien comme machine à générer (ou plutôt à tenter de préserver) de la valeur boursière sans qu’elle soit pour autant liée à un but ni à une vision stratégique. Le manager devenant même parfois déserteur et pilleur. Prenons tout avant le déluge mais pressons les grappes jusqu’à en écraser les pépins. Le bon vin nait de l’éraflement des grappes, et non pas de l’écrasement sans distinction. Il en sera de même des sociétés d’avenir et je ne peux cacher ma curiosité quant à l’avenir de ces sociétés. Dans quelques années les cartes auront été totalement redistribuées. Les leaders d’aujourd’hui n’ayant pas adopté de politiques centrée sur l’humain disparaîtront sans. L’homme a été érigé comme valeur essentielle de leur business, et pourtant bon nombre d’entre eux ont été sacrifiés avec comme seule cause, les chiffres des trois derniers mois et les prévisions. En plus de cela, et c’est sans doute le plus grave, le survivants ne sont pas traités comme tels, bien au contraire, un style de management baguette/culpabilisation voit le jour. Les « bonjour » n’existent plus, les timings ne correspondent plus à aucune réalité ni à aucune procédure, les plus puissants s’arrangent pour se couvrir pensant s’acheter une assurance pension en oubliant même leur première tâche, le développement de la société. On saute sur tout ce qui bouge et les collègues d’hier deviennent des ressources qu’on peut prendre et jeter bien facilement. Tout le monde le fait, alors mon petit dégraissage on y verra que du feu, et puis l’autre qui m’a embêté au comité, il va voir qui c’est le patron, ça lui fera les pieds à lui et ses moutards qui savent pas se tenir. J’ai déjà par le passé dénoncé les abus de pouvoir des « petits » patrons, aujourd’hui j’aimerais porter l’attention sur cette notion essentielle d’humain. Impossible de garder une entreprise prospère sans y conserver des fondations solides et pérennes.
Cette crise est un tremblement de terre dont les premiers effets se font sentir, perte de pans de mur, d’un bout de la toiture, mais dont les plus graves sont à venir si on y remèdie pas, fuite d’eau, infiltration, fragilisation des murs porteurs avec un grand risque que l’édifice entier ne s’écroule. Alors comment faire ? Ne pas hésiter à appeler un maçon et un plombier ou faire avec les moyens du bord mais avec une grande dose d’énergie positive. Maintenir ces droits mentionnés ci-dessus me semble essentiel pour répondre aux besoins de tout homme, assurance du lendemain, d’exister, de se sentir exister. Les signes de reconnaissance les plus innocents auront le plus d’impact. Tout le monde va me dire que j’enfonce des portes ouvertes. Et bien non, je vis tous les jours des contre-exemples à ces principes de base et des top-managers ignorer la majeure partie de leur effectif. L’eau s’infiltre. Il ne faut qu’un degré de moins pour qu’un coup de gel fasse tout exploser. Le plus souvent, ce coup vient par de nouvelles exigences, « comme c’est la crise ce n’est plus du 9 à 5, maintenant il va falloir s’y mettre sinon … » En l’écrivant ce type de phrase me semble tellement absurde, et pourtant, et pourtant, vous seriez surpris. Car ce coup de gel dans lequel tombent une grande partie de managers (et c’est à cela qu’on peut déjà reconnaître la qualité d’un management) nie quelque chose de fondamental, il nie l’homme en tant que tel, en tant qu’âme.
Imposer à un homme qu’il ne fasse que travailler, et lui imposer une pression qui ne lui fasse plus penser qu’à cela nie toute existence de l’individu en dehors de son travail. L’homme ne peut plus se dégager de son œuvre, il est son œuvre et son travail. C’est est somme nier l’humanité, nier que l’homme doive s’accomplir en dehors de son travail et de sa tâche. Un homme qui ne peut s’affranchir de son travail à aucun moment comment appelle-t-on cela déjà, esclave vous avez-dit, moi qui croyait que nous avions aboli cela depuis bien longtemps. Evidemment, cela peut paraître fort d’employer ces termes, mais cette menace est bien présente. Bon nombre d’employés ne dorment, plus, ne déconnectent plus. Je suis prêt à gager que ces sociétés qui sont incapables de gérer leurs hommes aujourd’hui verront les murs porteurs qu’elles auront maltraités céder à la première embellie. Sans doute pour exercer une politique de ressources humaines efficace faut-il avoir les reins solides, ou ne serait-ce pas le contraire, une politique de ressources humaines pertinente, évitant les sinistres histoires.

mercredi 4 février 2009

Terre des paysans, pays perdu ou avenir opportun ?

Le monde semble explorer de nouvelles options même s’il est trop tôt pour en être certain. Les incohérences finissent par créer une absurdité de vie, travailler pour gagner moins n’est pas sexy et ne semble pas supportable devant la paupérisation des masses de nos pays où nous nous vantions d’avoir une réelle classe moyenne à la différence des pays en voie de développement.
Dans ce cadre une intervention de Jean-Pierre Coffe a pris tout son sens. Publiant un ouvrage sur comment manger pour 9€ par jour, qu’on n’aura pas réellement osé taxer d’opportunisme dans l’émission de Ruquier, il fit référence une nouvelle fois au produit, mettant en avant les qualités tant nutritives qu’économiques de la cuisine que l’on fait soi-même. Et lui de fustiger les produits frigorifiés, coûteux en transport en opposition à la possibilité de redévelopper des zones maraîchères en bordure de ville. Pas bête.
D’autant plus si on met en relation la hausse artificielle (non perçue par les producteurs) des prix des fruits et légumes dans les grandes surfaces ainsi que la baisse de leurs qualités gustatives et nutritives. Il faut évidemment du temps pour faire cela, pour cultiver, organiser des marchés, s’y rendre, mais ce n’est pas impossible. D’un point de vue économique l’agriculteur de proximité pourrait être revalorisé et toucher un bénéfice plus grand et direct de ses efforts. Ne nous leurrons pas, la vie d’agriculteur est difficile, et la tendance à la concentration des surfaces agricoles n’est pas finie. La profession d’agriculteur ne rencontre plus beaucoup d’amateurs aujourd’hui. Et pourtant, on classe des vieilles pierres pour les protéger et bon nombre d’anciens agriculteurs, derniers défenseurs des bons produits sans être dans les produits d’exceptions rares et chars, mériteraient plus.
C’est en quelque sorte ce qu’a fait Raymond Depardon, les « classer » par ses images. Son ouvrage la Terre des Paysans, brillant pas sa poésie philosophique et lunaire est le résumé de son œuvre consacrée au monde rural. Depardon grâce à son obstination à photographier ou filmer la réalité de ces personnages aux abords durs et secs, a su percer l’écorce et nous dévoiler leur réalité simple et profonde. Tout le monde peut photographier une ferme, mais y capturer l’âme qui s’y ballade c’est une autre affaire. Sans doute ses parents agriculteurs lui ont permis d’avoir cette empathie nécessaire à l’égard de ces durs travailleurs, plus habitués à converser avec la nature qu’avec un journaliste. Le résultat est touchant. Les quelques phrases et dialogues cités sont dignes des plus profonds haïkus, c’est une réelle philosophie de la terre, une philosophie ayant perdu tous ses beaux habits pour ne garder plus que l’essence. Quoi de plus dur que de toucher à l’absolu en seulement quelques mots anodins.
Devant cette beauté, souvent triste comme la résignation, pourtant privée de jugement et de pessimisme excessif, il est bien dur de se relever. Des œuvres d’art vivantes, tellement en communion avec la nature qu’elles en ont compris la raison d’être.
Pays perdu, ouvrage court et magistral de Pierre Jourde m’a aussi fait ressentir ce côté absolu. Un héritier parti à la ville retourne dans son pays ancien pour en assurer la succession d’un point de vue administratif et le voilà témoin des derniers des paysans. Roman émouvant et magnifique qui donne tant de noblesse et de vérité à ces personnes, en évitant le piège de les idéaliser.
Evidemment, et ils l’acceptent, le monde a changé, les repreneurs se font rares, et puis comme le disent certaines, à l’usine on a pas peur d’une mauvaise saison ou d’un coup de gel, le salaire tombe tous les mois et on a les commodités et le week-end … Le monde a happé les héritiers de ces personnes vraies, mais pour quoi ? La crise aujourd’hui pourrait redistribuer des cartes, est-ce trop tard ? je ne l’espère pas.
Comment parvenir à une amélioration de la qualité de la nutrition alors que le pouvoir d’achat baisse et en même temps préserver notre histoire rurale ? Ca ne se fait pas en un tour de baguette magique, mais ça se planifie, ça se calcule, ça se légifère même. Autoriser les cultures en bordure de ville, mise à disposition de terrains communaux aux familles dont un ou deux sont au chômage, mise à disposition gratuite à ces personnes d’emplacements au centre des villes et en bordure avec des horaires souples, soirée et matinée, surtaxe des produits aux faibles valeurs nutritives et saturés en graisse, sucre et sel. On taxe bien l’alcool et les cigarettes sous couvert de leur dangerosité, faisons de même avec tous les fast-foods et les plats cuisinés. Tout ça avec comme but l’amélioration de la qualité des aliments proposés en contrecarrant la possible baisse du pouvoir d’achat due à la crise C’est une piste de réflexion parmi d’autres, qui pourrait pourquoi pas régler plusieurs problèmes pour le prix d’un. Ce repeuplement possible des campagnes et des fermes aurait aussi une influence positive sur les chiffres du chômage et sans doute sur les dépenses de la sécurité sociale en envisageant que les gens soient dans des meilleures conditions de vie.
On peut facilement m’objecter certains problèmes inhérents comme une désertion de grandes surfaces créant de nouvelles suppressions de poste, il est vrai et cela vaut la peine d’être étudié et calculé. Mais si cette crise nous fait sortir des cette consommation totale, ces distributeurs auront moins de raison d’être et ces personnes pourraient se reconvertir sur des marchés publics permanents, rien n’est fixé mais nous devons essayer.
Si certains retournent à la terre il est certain qu’on travaillera plus, pour gagner plus certainement pas, mais pour vivre mieux, certainement. Croisons les doigts pour que cette année nous offre cette opportunité, car n’oublions pas que dans nos campagnes, la plupart des vues valent tous les écrans plats du monde.

samedi 31 janvier 2009

Ce soir ou jamais ?

Ces derniers temps, le contexte aidant surement, j’ai réellement pris plaisir à suivre l’émission de Frédéric Taddei, « Ce soir ou jamais ? » qui apporte un regard éclairé et culturel, trop diront certains, sur l’actualité au sens large. Une demi-heure plus tôt depuis la rentrée grâce à la disparition de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques, cette
émission est encore plus accessible. Evidemment, quelques fois elle peut paraître assez aride, un plateau lounge certes mais sans filles aux bustiers dégarnis ni de petits personnages qui dansent dans des écrans de télé et pour couronner le tout un animateur qui ne quitte jamais sa chemise blanche et cravate noire. Pourtant aucune austérité dans le contenu pour cette émission animée de main de maître en direct. Sur le nombre d’heures depuis 2007 il n’y a du avoir que de très brefs moments d’égarements.
Frédéric Taddei grâce à une qualité d’écoute absolue liée à une ouverture d’esprit et une culture générale développée et surtout honnête, ne sur-jouant jamais, gère ses invités tel un maître d’orchestre. Je crois que c’est là la formule magique, maitriser son sujet sans vouloir en étaler. Cela créé une atmosphère de réflexion constructive et même parfois surprenante.
La semaine dernière il y eut deux émissions de haute volée qui ont eu le mérite de me réconcilier avec des personnages médiatiques qu’on a souvent vilipendé pour leurs méfaits, mais qui n’en restent pas moins des esprits clairvoyants quand ils ne sont pas soumis à des exigences politiques. L’une sur la crise et l’autre sur le monde avec Obama. Evidemment rien de très original par rapport aux sujets des journaux télévisés. Et pourtant …
Le mercredi 21 (http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/) étaient présents des experts aux vues et idéaux différents qui m’ont fait comprendre bien des choses. Jean-Marie Messier ayant le bon rôle de souligner quels étaient les principes fondateurs du capitalisme et de mettre en exergue très simplement quelles ont été les principales dérives du système, dont la perte du sens de la valeur entrepreneuriale. Philippe Manière recadrant les solutions envisagées de façon pragmatique. A la fin de l’émission je me suis senti heureux, heureux de voir que nous pouvions y arriver, du moins que nous avions des armes pour aller de l’avant et des options envisageables face à cette crise. Le lendemain un plateau très relevé construisait autour du thème de la nouvelle donne internationale avec Obama. Dominique de Villepin (qu’on peut détester très vite) m’a surpris. J’ai entendu le fruit de ses réflexions, sans pesanteur et sans influences politiques. Ses challengers d’un soir n’en étaient pas moins pertinents qu’il s’agisse d’un Yves Lacoste ou de Bernard Guetta, hélas méconnus du grand public. La réflexion était de haut niveau et je ne pourrais m’avancer ici à en retranscrire les finesses sans faire de simplifications abusives. Il s’agissait d’un vrai débat géopolitique, tournant vite autour du rôle et du positionnement de la France. Ce message est un immense merci à ce service public qu’on veut trop souvent condamner et à qui on ne rend pas la vie facile. Alors que je parlais plus tôt du risque de contrôle, tant que cette émission vivra, nous pourrons garder une lueur d’espoir.
Le danger est en revanche le risque de marginalisation de ce type d'émission, « c’est culturel ce n’est pas pour moi », et ça avec les valeurs générales prônées aujourd’hui c’est assez facile. De même il est facile de rejeter ces quelques articles en bloc car j’y mentionne dans l’un Télérama, et dans l’autre une émission culturelle. Pourtant la culture n’est pas une chasse gardée. Elle n’est jamais aussi forte que quand elle est un point d’entrée ouvert vers un univers, se complexifiant selon les envies et les niveaux d’implication. Et c’est le pari que réalise « Ce soir ou jamais ? », réussir à aborder des sujets compliqués, parfois rasants, de façon évidente et captivante avant de terminer sur quelques élaborations plus complexes.
Pour cela, je hais ces personnes qui veulent garder les portes de la connaissance closes, sans doute en faut-il certains parmi les chercheurs qui ne doivent pas avoir toutes les vertus pédagogiques d’un bon professeur, mais pour le reste, le rôle d’initiation et de partages est bien plus important. Peut-être que l’erreur stratégique de Sarkozy est finalement d’avoir donné plus de temps d’antenne au service public et l’opportunité de préserver un esprit critique, d’autant plus dangereux s’il reste constructif. Il faut reconnaître que pendant bien longtemps les débats n’avançaient pas car en France, on le remarque en vivant en dehors de l’hexagone, on aime bien discuter et pas forcément avancer. La crise économique et le risque politique étant là, le sentiment d’urgence investit l’esprit de nos intellectuels et les réflexions deviennent pertinentes et pragmatiques. Je ne serais d’ailleurs pas surpris de voir une recrudescence et une amélioration significative de notre production en philosophie, sociologie et politique.
Cette contrainte s’avérera donc j’espère bel et bien une opportunité pérenne. Ne reste plus qu’à surveiller de près les prochaines mesures et la pression qui sera mise sur les journalistes clés comme Frédéric Taddei… Alors pour vous forger de réelles opinions sans influences insidieuses, je vous invite à préférer cette émission à d’autres d’abrutissement généralisé, et n’oubliez pas en ces périodes il devient un vrai devoir civique de défendre et de protéger la liberté d’expression.