vendredi 25 juillet 2008

Sebastiâo Salgado

La photographie est un art complexe à appréhender. Notre vie est un parcours d'images, celles de notre vie et celle de notre environnement.
On peut s'extasier devant des photographes de mode, de publicité, de reportage. C'est tellement vaste qu'il est bien difficile de décerner ce titre de grand photographe dans l'absolu.
Certains auront eu le mérite de prendre une main coupée rescapée du 11 septembre, en seront-ils de grands photographes pour autant, ou ne serait-ce pas seulement une grande photo. Cet art a cette magie, qu'un instant peut même surprendre un amateur non averti et lui offrir un cliché magique, soit par l'émotion qu'il suscite soit par le sujet inattendu ou spectaculaire.
Un bon photographe serait quelqu'un qui aurait la capacité de répéter ce phénomène. On pourrait aussi définir ce talent en prenant le contre pied et en considérant celui qui ayant la tâche d'accomplir une couverture d'évènements ne se trompe pas et prend ce qu'il y a à prendre.
J'ai déjà affiché sur ce blog mon admiration pour certains artistes, le dernier en date étant Michael Kenna et sa capacité esthétique à révéler la pureté de la nature, une abstraction magnifique.
Je ne peux que rendre justice au photographe de reportage le plus impressionnant aujourd'hui, Sebastiao Salgado. Devant ses clichés on se passe de mots tellement ils semblent tous parfaits. En voir certains ici. Parfait dans quel sens ? Difficile à décrire mais une réelle poésie se dégage de ses portraits parfois durs. Ce photographe apporte de tels témoignages de ce qu'est la vie. Il voyage pour nous mais fais bien plus que cela. Il nous révèle l'âme des contrées qu'il traverse, l'âme de ses habitants, souvent en proie à des conflits ou des difficultés que nous ne connaissons ou que nous ne rencontrons que peu ici.
Il parvient à révéler l'humanité dans toute sa beauté, qu'il s'agisse d'un enfant à la jambe mutilée ou de travailleurs de champs pétrolifères couverts de l'or noir. L'ouvrage récemment édité par Taschen dans un format mettant en valeur les clichés (et au prix démocratique vu la taille et la qualité de l'ouvrage) qui rassemble une sélection de photos issus des reportages qu'il accomplit en Afrique australe sur une trentaine d'années est un must. Ne pas s'y méprendre, Salgado n'est pas seulement un photographe qui réussit une photo quand le sujet est percutant ou terrible. Il sait saisir tous les instants comme des émotions de joie dans les yeux des enfants qui sont tellement émouvantes. Sa série animalière est aussi fascinante, j'ai rarement vu un gorille au regard si profond. C'est un véritable régal.
A connaître de toute urgence car il est rare de rencontrer aujourd'hui des artistes qui sont capables d'embrasser le monde comme il le fait avec tant de finesse, de pudeur et de beauté. Un énorme MERCI.

jeudi 24 juillet 2008

Facebook, un démon social ?

On a dit beaucoup de choses sur les réseaux sociaux virtuels comme Facebook. Au début démonisés par les plus réfractaires à la technologie et les plus conservateurs, encensés par les adeptes des nouvelles tendances et qui se veulent à la pointe. Ce phénomène est déjà ancré dans les mœurs, on ne compte plus les ouvrages qui y sont consacrés ni les tentatives de copies qui fleurissent tous azimuts, entrainant des batailles juridiques inédites. Les luttes commencent, chacun veut sa part du gâteau, on semble parler aujourd’hui des sociétés les plus rentables (bulle internet is back ?).
Facebook et les autres VSN nous permettent de parler de notre vie quotidienne et nous accompagnent. Qu’ils soient là pour garder contact, s’orienter professionnellement ou sentimentalement, on y passe du temps et on market sa page comme un produit star destiné à être en tête de gondole.
Cette logique plutôt anglo-saxonne de la vente de soi à tout moment est même allée conquérir les irréductibles gaulois, aidés en cela par l’attitude starifiée du chef de l’état qui conforte les modèles de réussite matérialiste et la victoire du paraître sur l’être. On met sa petite photo, qu’on choisit malgré tout aguicheuse, et puis par acquis de conscience on en met une avec son enfant dans le nième album qu’on aura mis en ligne pour qu’on voie à quel point on a une vie coooool et réussie.
C’est un lieu de partage facile et universel, très pratique quand on veut communiquer par delà les frontières par exemple.
Les mœurs évoluent, de réseaux très privés c’est aujourd’hui la consécration de l’open networking. "Vivons cachés vivons heureux" semble appartenir à notre aïeul avec de la mousse sur les oreilles. Maintenant on en impose, on se montre.
Va-t-on plus voir une expo, où par ailleurs les plupart des toiles nous resterons obscures, pour en parler ou pour apprécier ? Moi-même j’eu un doute quelquefois devant la grande déception émotionnelle occasionnée. Il ne me restait qu’à en parler pour me réconforter. Grâce à Facebook, on sait même si notre ami à Taiwan était malade pendant la nuit, tout comme les 253 autres amis qu’on a. Tout de même pas évident de gérer tout ce flux d’informations critique, surtout en période de gastro. Et puis il y a en plus des statuts et des jeux qui sont des assassins de la productivité en entreprise (pas un jour sans recevoir des requêtes pour savoir quel savon je serais si j’étais exposé à une explosion nucléaire, ou quel chien star incarne le mieux mes valeurs religieuses) les albums photos.
On touche ici une autre dimension qui dépasse le simple désir exhibo de la plupart, qui dépasse le désir d’afficher sa réussite (enfant, voiture, maison). On se rend compte en passant d’un « ami » à un autre que toutes les photos se ressemblent dans le fond. Et là c’est le stresse, la panique, tic-tac, tic-tac. Gare à celui qui n’aurait pas dans ses albums toutes les étapes clés de la réussite. J’ai été pris d’effroi en voyant le nombre d’album mariage de untel et unetelle, et là presque de façon subliminale je me suis dit, « mince, quand est-ce que tu te maries déjà, ouf c’est dans quelques mois, tu ne seras pas pour trop longtemps honni par tes amis ». Cet outil de liberté et de communication ne serait-il pas en fait le meilleur (le seul) moyen pour confiner la liberté individuelle à un schéma préétabli. En effet je pense que peu de personnes créeront un album photo intitulé « Mes maîtresses ». Les canons de la réussite semblent avoir trouvé une nouvelle voie despotique plus discrète et pernicieuse que ne l’étaient les réseaux sociaux traditionnels auxquels on pouvait toujours espérer échapper un jour, ne serait-ce qu’en déménageant. Le piège est international, partout présent, les updates pullulent, untel vient d’avoir un nouveau boulot de conseil en stratégie, untel vient d’être papa pour la troisième fois.
Facebook serait-il donc la revanche ultime de l’instinct naturel, de la réussite primaire et de l’expression d’une puissance asservie sur la liberté de penser et de se différencier ?!

jeudi 10 juillet 2008

La sagesse des champignons

Je hais les personnes qui pensent que la philosophie est réservée aux philosophes ou à quelques autres érudits devant avoir un curriculum vitae intellectuel bien rempli. Je hais ces personnes qui complexifient des messages essentiels et qui noient la plupart dans des abimes d’isolement. Je hais les personnes qui pensent qu’il est de bon ton de se distancier du peuple et de snober les évènements les plus rassembleurs car vulgaires.
Comment comprendre son époque si on ne s’implique pas dans cette vie de tous les jours, que ce soit au PMU du coin, dans un stade ou dans un festival de musique ? Il ne s’agit pas seulement de sociologie.
La philosophie doit être une appréhension de la vie. C’est vrai que des pavés come Etre et Temps sont rebutants, et même les experts doivent se creuser la tête, quand à la mienne je l’ai retourné dans tous les sens sans grand succès.
Le but de la philosophie selon moi est d’amener les hommes et à se poser des questions sur le sens de leur vie, le sens du monde. Le but n’est pas de mettre chacun dans un état de doute mais d’offrir des grilles de lectures et d’aider à se recentrer sur les choses qui leur sont réellement importantes. En plein mouvement consumériste, il pourrait être bon que les valeurs partagées par le plus grand nombre puissent se dissocier du paraître. D’autant plus l’image du pouvoir en France n’y aide pas. Etre un roquet, écraser les autres, ne pas être respectueux du présent ni de l’histoire, tout faire pour le fric et pour avoir un mannequin dans son lit …
C’est dans une ferme en Italie que j’ai partagé un de mes derniers beaux moments d’humanité et de réflexion.
En cercle se trouvaient trois personnes, le gentil propriétaire de la pension où je m’étais replié quelques jours, et un couple âgé mais vaillant, autour d’une table. J’entendais le couteau claquer sur une plaque d’ardoise, je pensais au dépeçage d’une bête lorsque m’approchant je découvris des lamelles de champignons déposées les unes à côtés des autres, tel un régiment bien en ligne. Ils coupaient avec précision une récolte fructueuse pour les faire sécher. Nous parlons, et là vient un commentaire ultime :
« Il dit que maintenant qu’il est vieux il trouve plus de champignons. Beaucoup plus que son fils et bien plus qu’avant, car quand il est dans les bois, il ne peut plus marcher aussi vite, alors il prend plus de temps, et du coup il en trouve plus ».
Définition de la sagesse qui me tombe comme ça dans les mains, vérité absolue ? L’homme devient-il sage par obligation ? Est-ce le déclin physique, le déclin d’une certaine fougue qui entraîne la sagesse ? Ou au contraire la quête du champignon, d’une certaine vérité qui nous forme l’œil ainsi que l’esprit et nous permet de connaître les choses et de trouver les réponses. Les réponses à nos questions sont elles aussi bien cachées, sous des feuilles, au bas des arbres ? Des fois elles émergent littéralement en pleine pelouse et sont évidentes mais le plus souvent elles nous sont dissimulées. Même si on marche à côté il peut nous arriver de les louper et pire de les écraser. Cette métaphore du chasseur de champignon âgé, chasseur moins vaillant mais plus efficace illustre l’essence d’une philosophie universelle. Pas besoin de connaître la politique d’Aristote pour comprendre comment l’on peut expliquer la structuration d’une société à partir de ce type de réflexions. Consulter les ouvrages classiques est un complément utile mais la tâche est trop ardue pour commencer par eux.
Cette matière précieuse seulement enseignée dans nos programmes scolaires en classe de terminale pourrait sans doute occuper une place différente et donner quelque chose de plus dans l’éducation. Les premières passions arrivent au moment de l’adolescence et la plupart des ados se trouvent perdus, incompris, à part et souvent délaissés. Prendre des exemples vécus par les intéressés pour définir ce qu’est une passion, ensuite les amener sur quelques textes parlant, comme un de Descartes qui avait compris que son amour pour les femmes ayant un fort strabisme lui venait dans son jeune âge de sa première relation amoureuse.
C’est en partie naïf, mais renouer avec une philosophie essentielle et simple et l’enseigner le plus tôt serait sans doute une piste de solution au moral en berne qui ternit nos pays.
Notre jeunesse ne se projette pas, elle manque de repères dans un monde qui se durcit, une petite fricassée de champignons ne ferait pas de mal.