jeudi 10 juillet 2008

La sagesse des champignons

Je hais les personnes qui pensent que la philosophie est réservée aux philosophes ou à quelques autres érudits devant avoir un curriculum vitae intellectuel bien rempli. Je hais ces personnes qui complexifient des messages essentiels et qui noient la plupart dans des abimes d’isolement. Je hais les personnes qui pensent qu’il est de bon ton de se distancier du peuple et de snober les évènements les plus rassembleurs car vulgaires.
Comment comprendre son époque si on ne s’implique pas dans cette vie de tous les jours, que ce soit au PMU du coin, dans un stade ou dans un festival de musique ? Il ne s’agit pas seulement de sociologie.
La philosophie doit être une appréhension de la vie. C’est vrai que des pavés come Etre et Temps sont rebutants, et même les experts doivent se creuser la tête, quand à la mienne je l’ai retourné dans tous les sens sans grand succès.
Le but de la philosophie selon moi est d’amener les hommes et à se poser des questions sur le sens de leur vie, le sens du monde. Le but n’est pas de mettre chacun dans un état de doute mais d’offrir des grilles de lectures et d’aider à se recentrer sur les choses qui leur sont réellement importantes. En plein mouvement consumériste, il pourrait être bon que les valeurs partagées par le plus grand nombre puissent se dissocier du paraître. D’autant plus l’image du pouvoir en France n’y aide pas. Etre un roquet, écraser les autres, ne pas être respectueux du présent ni de l’histoire, tout faire pour le fric et pour avoir un mannequin dans son lit …
C’est dans une ferme en Italie que j’ai partagé un de mes derniers beaux moments d’humanité et de réflexion.
En cercle se trouvaient trois personnes, le gentil propriétaire de la pension où je m’étais replié quelques jours, et un couple âgé mais vaillant, autour d’une table. J’entendais le couteau claquer sur une plaque d’ardoise, je pensais au dépeçage d’une bête lorsque m’approchant je découvris des lamelles de champignons déposées les unes à côtés des autres, tel un régiment bien en ligne. Ils coupaient avec précision une récolte fructueuse pour les faire sécher. Nous parlons, et là vient un commentaire ultime :
« Il dit que maintenant qu’il est vieux il trouve plus de champignons. Beaucoup plus que son fils et bien plus qu’avant, car quand il est dans les bois, il ne peut plus marcher aussi vite, alors il prend plus de temps, et du coup il en trouve plus ».
Définition de la sagesse qui me tombe comme ça dans les mains, vérité absolue ? L’homme devient-il sage par obligation ? Est-ce le déclin physique, le déclin d’une certaine fougue qui entraîne la sagesse ? Ou au contraire la quête du champignon, d’une certaine vérité qui nous forme l’œil ainsi que l’esprit et nous permet de connaître les choses et de trouver les réponses. Les réponses à nos questions sont elles aussi bien cachées, sous des feuilles, au bas des arbres ? Des fois elles émergent littéralement en pleine pelouse et sont évidentes mais le plus souvent elles nous sont dissimulées. Même si on marche à côté il peut nous arriver de les louper et pire de les écraser. Cette métaphore du chasseur de champignon âgé, chasseur moins vaillant mais plus efficace illustre l’essence d’une philosophie universelle. Pas besoin de connaître la politique d’Aristote pour comprendre comment l’on peut expliquer la structuration d’une société à partir de ce type de réflexions. Consulter les ouvrages classiques est un complément utile mais la tâche est trop ardue pour commencer par eux.
Cette matière précieuse seulement enseignée dans nos programmes scolaires en classe de terminale pourrait sans doute occuper une place différente et donner quelque chose de plus dans l’éducation. Les premières passions arrivent au moment de l’adolescence et la plupart des ados se trouvent perdus, incompris, à part et souvent délaissés. Prendre des exemples vécus par les intéressés pour définir ce qu’est une passion, ensuite les amener sur quelques textes parlant, comme un de Descartes qui avait compris que son amour pour les femmes ayant un fort strabisme lui venait dans son jeune âge de sa première relation amoureuse.
C’est en partie naïf, mais renouer avec une philosophie essentielle et simple et l’enseigner le plus tôt serait sans doute une piste de solution au moral en berne qui ternit nos pays.
Notre jeunesse ne se projette pas, elle manque de repères dans un monde qui se durcit, une petite fricassée de champignons ne ferait pas de mal.

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