mercredi 26 novembre 2014

Le grand nulle part de James Ellroy

Avant de partir en vacances cet été je me suis convaincu de prendre un livre plus facile que j’en ai parfois l’habitude. Errant dans les rayons d’une librairie de quartier bien pourvue je ne trouve rien de très inspirant étant peu au fait des dernières trouvailles. Je m’égare devant un rayon à rubans jaunes délimitant les scènes de crimes en briques. Tiens pourquoi pas un polar, je ne connais pas beaucoup. A part quelques livres relevant plus du policier plus ou moins classique, je tombe sur les E et donc sur James Ellroy que je n’avais lu, même si j’avais pu profiter de certaines de ses adaptations cinématographiques comme celle de LA Confidential qui me laissa une forte impression. Le Dahlia noir, hum, il y a un film … tiens Le grand nulle part qui bénéficie en plus d’un petit bandeau conseil de cette librairie (Le Rat Conteur à Woluwe qui vaut la visite). Aller, ça sera parfait sur la plage.
Ceux qui connaissent ce livre se sont déjà dit à la lecture de mes premières phrases, le gros naïf (bonne supposition car hélas ces vacances ne m’ont pas fait fondre au soleil), et je me suis pris une claque. Une méchante claque, qui fait bien mal, qui perturbe et dont la trace va sans doute rester longtemps. J’avais dans mon processus décisionnel sous-estimé la côté noir du polar, et bien là, je ne suis pas certain que les autres livres soient tous du même niveau (en tout cas les adaptations vues en étaient tout de même assez loin), c’est noir de noir.
C’est un roman à entrées multiples comme semble les affectionner Ellroy. Trois personnages principaux mais aussi des dizaines de personnages que je n’ose pas dire secondaires tant ils sont importants et imposants.
Dans ce livre j’ai l’impression que l’auteur y a tout mis, et ce qui est assez bluffant c’est que cela tient. C’est assez long certes mais il n’y a pas de lenteur dans le récit, voir même quelques fois des accélérations nécessaires pour ne pas en faire un livre de mille pages. Il y a dû avoir des coupes mais la compréhension reste aisée si l’on est attentif.
Un jeune policier donc, au début des années 50, enquête sur un meurtre avec mutilations (réellement glurp - et à ne pas donner à des enfants), un jazzman. Ca sent la cigarette, l’air de sax, la fumée … En parallèle une chasse aux sorcières nouvelle se met en place pour “nettoyer” le milieu du cinéma d’Hollywood et “éliminer l’influence subversive des communistes du 7ème art”. Des enjeux politiques. Des liens forts avec deux grands truands (dont un personnage réel Mickey Cohen). Le monde de l’homosexualité et des gigolos. La corruption. Des gloutons et pour finir, la rédemption face aux péchés. Ce livre peut ressembler au chemin de croix d’ailleurs entrecroisés de différents personnages face aux vices, pêchés et mal-être différents et qui finissent par se rejoindre dans une apothéose dantesque.
C’est dur, les gens meurent et ne relèvent pas, d’ailleurs ceux qui sont encore debout ne tienne plus par grand chose.
Il est impossible de raconter ce livre sans en donner des clés et gâcher le plaisir. Lisez le mais attention à l’impact. Ca tape, ça flingue, ça viole, ça torture. Mais ce qui est le plus troublant n’est sans doute pas ces matérialisations des malaises et folies, mais bel et bien les pulsions noires de l’Amérique de ces années et de l’homme en général. Le mal-être dans la société et là où cela peut emmener l’homme. Cet ouvrage est cependant écrit par un optimiste qui tels les chevaliers de l’apocalypse nous décrit des héros qui se battent jusqu’au bout par principe, sans plus savoir pourquoi, mais jusqu’à la fin, quitte à en mourir. Des idéalistes dans un monde perdu. Je ne connais pas assez Ellroy pour faire d’hâtives conclusions, et c’est un sujet qui ne transparaît que de rares fois dans l’ouvrage, mais on peut être certain que l’auteur est soit un fervent croyant soit un adepte du purgatoire et de la rédemption.
En tout cas j’ai pris une belle leçon, si ce n’est de style (une traduction c’est toujours délicat à juger) mais de construction d’intrigue. C’est un livre de dingue et qui est très loin devant la plupart des écrivains ou scénaristes du style.
Se pose enfin la question de l’adaptation. Presqu’impossible vu la complexité et le nombre d’évènements. Mais pourquoi pas une série ?!