mercredi 4 novembre 2020

Journal de 40 - 4

 Aujourd’hui tout le monde attend le fameux décompte du nombre des grands électeurs américains pour savoir lequel de ces hommes blancs à la peau orange et au pelage grisonnant va prendre la direction du pays de tous les rêves et de toutes les craintes. Je dois avouer que j’étais plus enthousiaste lors du décompte du nombre de balles de tennis présentes dans un caddie, jeu organisé pour la fête de Noël du TCCT (Tennis club de Château-Thierry) en 1993 (date incertaine mais vraisemblable). Le plus proche gagnait deux places pour Roland Garros. Si je me souviens bien on devait être dans les 251 balles et j’avais vu juste quelques semaines auparavant. Ce fut d’ailleurs le début d’une série où ayant sur ces tirages au sort beaucoup de chance, on me demandait de ne pas demander mon prix car on aurait pu penser qu’il puisse s’agir d’une machination et de favoritisme.

Ici ce n’est pas 251 qu’il faut ; mais 270, par un grand écart et pourtant ce sera crucial. Mais aujourd’hui je ne pense pas à Donald, ni à Daisy d’ailleurs et pas non plus à Joe qui prie pour ne pas faire de bide. Je ne pense pas non plus à 40% des américains qui peuvent être considérés comme sous pression financière et qui vivent pourtant dans le pays le plus riche du monde. Je ne pense pas non plus à la population noire qui n’a qu’une illusion d’espoir. Idéologiquement il ne leur est pas possible de voter Trump (pas besoin de beaucoup de démonstrations) mais historiquement ces populations se sont le plus appauvries sous des gouvernements démocrates (voir chapitre sur les Etats-Unis du livre Où en somme nous ? d’Emmanuel Todd où les chiffres sont mentionnés).

Non je pense à mon vieil ami Jerry. Jerry n’est pas très loin d’avoir 90 ans et il vit dans une petite maison en bois héritée de ses parents. Originaire de Virginie il vit aujourd’hui en Californie dans une bourgade calme dont il n’aurait pas les moyens s’il n’avait hérité. Jerry était professeur d’arabe littéraire. Relisez jute la phrase précédente, professeur d’arabe littéraire aux Etats-Unis. Je ne connais pas toutes les péripéties sauf qu’il a terminé sa vie active en faisant le guide touristique du Hearst Castle. Le foyer de Jerry aux Etats-Unis est plus que remarquable. J’espère d’ailleurs que dans leurs nombreux amis à travers le monde, je sais que certains manient bien la plume, certains leur consacreront un récit, un roman ou autre pour ne pas les oublier. Je ne vais pas me lancer ici dans des faits approximatifs car je ne connais que quelques bribes par ci par là, des années en Algérie, son épouse Olga descendante du dernier conseiller du dernier Tsar de Russie, capable de mixer français, russe et anglais dans le même phrase.

Quand je regarde mon bureau, ma bibliothèque ou des commodes remplies et qu’on me dit qu’il y a beaucoup de choses quand même, je me dis qu’ils ne connaissent pas la maison de Jerry et Olga, c’est à peine croyable, des témoignages de toutes leurs bontés, de leurs voyages ainsi que des piles de livres se succèdent. Un terrain de jeu, un voyage sans bouger.

La dernière fois que j’ai vu Jerry c’était il y a légèrement plus de 4 ans, en été 2016. Nous parlions de tout mais également de la future campagne présidentielle. Nous étions au début du mois d’Août et alors que l’opinion générale en Europe était qu’il n’y avait aucun risque, il angoissait. Il étudiait notamment à ce moment la montée au pouvoir du nazisme en Allemagne et me disait tristement : c’est très très inquiétant Philippe, j’ai peur que nous y soyons.  Il ne faut pas qu’il soit élu mais j’en ai grand peur. Je l’écoutais, je n’y croyais pas une seconde. Et puis c’est arrivé. Les impacts pour la planète ne sont pas directement mesurables mais certains signaux ont été forts (sortie de l’accord sur le climat, de l’OMS, soutien à des (pseudos) dictateurs). Je n’ai pas de nouvelles de Jerry depuis le début d’année, en général j’appelle une ou deux fois par an. Et là je me demande ce qu’il se passe. Il a forcément dû voter, oui forcément, même si ses jambes ne le portent plus il a trouvé un moyen. Et même dans l’adversité il doit toujours garder son sourire. Il a travaillé jusqu’à 80 ans et quelques, il n’avait pas le choix. Son épouse également. Ils n’ont jamais roulé sur l’or matériel, ça non jamais, pourtant c’est bien d’or qu’est recouvert le dôme de l’église orthodoxe dont son épouse et son fils ont en partie permis par leur énergie la construction.

Les traitements de leur fils coûtaient cher dans cette Amérique où deux métiers dans la culture et l’enseignement ne permettaient déjà pas à l’époque de palier à des dépenses imprévues. Donc pour toi Jerry, je sais que ça te ferait plaisir, j’espère que Biden gagnera. Ça ne changera pas grand-chose pour de vrai au niveau matériel, n’effacera pas le fait que tu doives faire le plein des promos de Costco pour t’en sortir, ni qu’Olga ne recycle tout perpétuellement, mais au moins ça te permettra de garder espoir. Aller Joe plus que quelques sièges et tu feras au moins des heureux.

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