mercredi 31 mars 2010

La peur des barbares de Tzvestan Todorov

Pour ceux qui ne boivent pas toutes les paroles de nos politiques, qui ne pensent pas que Lagaffe devrait présenter le JT, qui n’ont pas peur de l’autre, cet ouvrage ne sera pas une révélation mais il synthétisera de façon claire et simple (certains diront peut-être simpliste) les dynamiques et enjeux géopolitiques de notre siècle.

Pour ceux qui confondent musulmans et terroristes, qui pensent que l’intervention armée est la meilleure façon de guider les peuples vers la démocratie, qui pensent qu’on peut tout se permettre jusqu’à torturer sans vergogne afin d’avoir toutes les informations possibles pour éviter un attentat ce livre est essentiel. Vous risquez de le rejeter en partie mais dans le meilleur des cas il ouvrira légèrement vos œillères.

J’avais déjà entendu quelques propos de Todorov et le situait vaguement dans un courant de philo socio géo politique moderne. Plusieurs de ses ouvrages semblent avoir été récemment repris dans la collection biblio essais de Le livre de Poche et donne l’occasion pour 6€ de se pencher sur des réflexions pertinentes qui vous feront prendre de la distance par rapport à la pensée de plus en plus unique qui s’installe dans nos pays.
Cet ouvrage reste très abordable et facile à lire sauf peut-être les premières pages qui reviennent de façon classique sur la définition du mot barbare.

J’ai particulièrement aimé les recommandations et pistes de réflexions développées par l’auteur au niveau des actions politiques et citoyennes. C’est bien souvent ce genre de synthèse qui manque dans ces livres de philosophes modernes, le constat est souvent bien fait, quelque fois orienté mais reste intelligent, les critiques des erreurs présentes et historiques et abondent mais on se demande souvent what next ? Ici l’auteur prend position contre la politique extérieure américaine, propose d’autres voies, au niveau de la conception du monde, de l’analyse des situations, des réactions aux « attaques ». L’ouvrage brasse un grand nombre de concepts empruntés à différentes spécialités, de l’analyse sociologique, à la religion en passant par de la stratégie militaire et ainsi que la structure de nos systèmes politiques et de la diffusion de l’information prenant toujours en compte et les racines historiques afin de chercher un comment et non pas un pourquoi, mais aussi en l’inscrivant dans son contexte. L’homme est homme et qu’il soit terroriste présumé ou militaire professionnel bombardant des civils il reste homme et l’auteur se défend de cette volonté d’objectiver l’autre et de le rejeter.

C’est un des principaux enjeux du monde moderne, ne pas tomber dans la haine de l’autre, de ce qui est différent. Au sein de nos sociétés de plus en plus multiples et de l’explosion des frontières de la communication qu’offre le web, les populations sont amenées à prendre connaissance de beaucoup plus d’éléments qu’auparavant. Mais c’est paradoxalement dans ce même temps que la liberté de connaître et d’apprendre semble la plus en danger depuis ces 50 dernières années. Malgré tous ces media disponibles, il était bien difficile pour un jeune américain de penser que les Irakiens ne possédaient pas d’armes de destruction massive et n’étaient pas en train de préparer de nouveaux attentats meurtriers après 2001. Ce qui dans la structuration d’un comportement peut hélas faire tolérer des manquements aux principes de bases de la démocratie, démocratie pour laquelle même les gouvernements disent se battre. Todorov entre dans le débat, comment promouvoir la démocratie, la liberté des peuples et des individus alors que des photos d’avilissement, de massacres de civils perpétrés sur des « présumés » coupables sont diffusés dans le monde entier par internet. Rien de détonnant pour les avertis, mais il va plus loin, évoque un rôle qu’il souhaite et trouve nécessaire pour l’Europe qui devrait s’émanciper de la tutelle américaine via l’OTAN et se positionner comme une force indépendante et détachée des excès outre-Atlantique.

Je conseille donc vivement ce livre, à tous les sceptiques et même aux convaincus, et si nos conseillers politiques et gouvernants pouvaient intégrer ces quelques vues à leur prise de décision, on ne pourrait qu’être gagnant.


1 commentaire:

Dead Man Walking... Le cancer de Jack a dit…

Levi-Strauss, Todorov, Kerouac,... à lire pour tout ceux qui veulent s'ouvrir à l'autre de manière laique mais aussi puissante que des textes religieux.