mardi 4 mars 2014

La première pierre de Pierre Jourde

Après la désastreuse expérience de lecture de l’ouvrage précédent, ma soif de style a trouvé de quoi la satisfaire dans la Première pierre de Jourde. J’avais trouvé Pays-Perdu, hommage clinique au pays d’origine de l’auteur qui lui avait pourtant valu une agression des autochtones, transformés à l’occasion en hooligans perdant la raison, génial.
Le livre avait généré l’engouement littéraire il y a une dizaine d’années tant il était dense et profond. Je l’avais compris comme une célébration des derniers paysans, révélant dans la rugosité du climat et des gens, une beauté originelle et naturelle.
 
Ce livre est cependant tombé entre les mains des protagonistes (les paysans du village familial de l’auteur qu’il décrit) qui ne l’ont pas lu de la sorte. Certains “secrets” de polichinelle, ou non, à de rares exceptions étant révélés, les sensibilités exacerbées et l’incompréhension ont fermenté dans certaines têtes du village. Ainsi quand l’auteur et sa famille sont allés passer des vacances dans ces lieux, l’agression se produisit. P. Jourde, s’en est sorti grâce à ses bases de karaté, causant même plus de dégâts physiques chez les agresseurs qu’il n’en subit. S’en suivirent de nombreuses discussions et dépôts de plaintes. Les gendarmes ayant du mal à comprendre au premier abord ce qui s’était passé, ayant devant eux des agresseurs plus amochés physiquement que les victimes, rien n’était clair.
Vint le procès.
Ce livre qu’on peut diviser en deux parties, en plus d’être très bien écrit est un récit très honnête avec la pudeur et la prise de conscience qui sont souvent hélas mis de côté dans ce genre d’ouvrages. L’auteur questionne sa mémoire, ses raisons d’être venu là, sa naïveté ne voyant pas qu’il était sans doute inopportun de venir, comme si un invisible désir lui imposait de se confronter à ce monde, comme s’il ne croyait pas que les agressions et menaces puissent devenir réelles. Tout en s’en doutant profondément, inconsciemment ...
La première partie, la narration des faits. La tension monte, puis l’agression, la panique, la fuite. Le stress est tangible, l’écriture vive. Le ralenti de la scène (perception au ralenti d’évènements très rapides et violents liés à une montée d’adrénaline) est très bien décrit.
La seconde partie, moins dans l’action et plus dans l’analyse et la suite des affaires (procès) nous plonge dans une introspection de l’auteur qui cherche à comprendre, qui revient sur ses origines. Les locataires de son domaine le chassent en lui disant qu’il n’est pas chez lui. Xénophobie et racisme primaire ou peur du changement. Racines filiales perdues, tromperies. Ce microsome qui se heurte à la dureté de la nature qui ne fait pas de cadeau, est une cocotte-minute à idées noires. Les quelques rares occupants du village à n’avoir pas cédé à la folie collective et qui ont relaté les faits tels qui se sont produits, et donc pas à l’avantage des agresseurs, ont été mis de côté par le groupe, exclus. Dans ce lieu reculé la mort sociale est particulièrement cruelle.
Malgré ces tourments et cette agression, on sent chez l’auteur une réelle nostalgie figurée par la dernière transhumance qu’il suit avec des gens de toujours. Le livre se termine sur une note réellement mélancolique, un constat amer sur la disparition d’un monde et d’une illusion personnelle. Beau et sage.

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