samedi 20 février 2010

Gomorra de Roberto Saviano

C’était un dimanche soir dans la voiture, écoutant le Masque et la plume en période du festival de Cannes. Ils évoquaient deux films italiens qui semblaient à les entendre assez réussis. L’un était Gomorra de Roberto Saviano, adaptation de son livre portant le même nom.

Mon envie d’aller voir le film ne suffisant pas à convaincre madame, trouvant le livre peu après je me suis dit au moins j’aurais l’histoire. Cela fait déjà il y a un certain temps mais comme le livre est paru récemment en poche on peut dire que ça reste d’une certaine actualité. J’ai donc fini par le lire et ma conclusion est que j’ai encore plus envie de voir le film.

Je ne m’attendais pas à ce type d’ouvrage, j’imaginais une histoire un peu à la Donnie Brasco, sachant que l’auteur avait un contrat sur la tête et vivait sous protection. Mais c’est bien différent et bien plus dense, d’où la difficulté probable à l’adapter à l’écran. Il s’agit d’un livre d’enquête extrêmement poussé, vu et vécu de l’intérieur, qui lâche des vérités dont les acteurs doivent détester qu’elles soient ainsi médiatisées. Tout, et tout le monde y passe, au sens propre comme au figuré.

L’enquête commence de façon anodine dans les banlieues napolitaines et un premier volet économique de l’empire de la camorra est mis à jour, les ateliers textiles où des ouvriers pour certains avec un savoir faire unique travaillent sur les costumes de grandes marques, payés pas plus de 500€ par mois. Ces ateliers semi-clandestins, travaillant parfois pour des grandes marques et le reste du temps faisant les mêmes habits mais qui seront distribués par des canaux de contrebande. Le mécanisme économique, le réseau, le pourquoi du comment est mis à nu. On comprend le rôle économique et encore plus terrorisant l’existence clé et en quelque sorte nécessaire de ces activités clandestines pour notre économie. L’approvisionnement pour les grandes marques des tissus les plus prisés sont assurés par les clans et de ce fait les marques n’ont jamais attaqués ces derniers pour contrefaçon avant que des scandales publics n’éclatent, sans quoi elles se seraient coupées de leur approvisionnement mais aussi d’une manne d’ouvriers hautement qualifiés travaillant pour très peu d’argent.

Roberto Saviano procède de même avec les autres volets économiques maîtrisés par les clans, la drogue, l’immobilier et BTP, le ramassage et traitement des déchets. Au fur et à mesure des pages, après les passages sur la corruption, les liens politiques, la puissance et le rôle militaire des clans, ayant été pour certaines guerres les seuls approvisionneurs en armes et véhicules militaires de nations comme l’Argentine en 1982, on partage le sentiment final d’impuissance de l’auteur, devant cette hydre. Qu’est-il possible de faire pour changer cela, pour faire sortir tous ces hommes de la violence dont ils sont prisonniers ? L’auteur a pris le courage de dénoncer, non pas en lâchant des bribes d’informations ou en faisant un livre romancé, racontant le parcours d’un ou plusieurs mafieux, mais bel et bien en décortiquant tout le système pour expliquer et montrer la dangerosité et la toute-puissance de ces organisations multiples.

Ce livre est tout simplement énorme, terrorisant et fascinant. Pourtant amateur de films de gangsters je ne m’attendais pas à ce que j’ai pu apprendre et le petit malaise qui m’a pris en refermant le livre s’efface à peine. Un petit goût d’ordure toxique m’est resté longtemps dans la bouche.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Malheureusement c'est aussi ça l'Italie. Le business de la mafia italienne c'est environ 150 milliards de dollars, 2 Procter & Gamble et il se dit que ça "fait vivre" ou en tout cas ça implique au moins 50% des familles du Sud de l'Italie mais ça touche aussi de plus en plus le Nord, l'Europe (la côte d'azur en premier) et le monde. Ca fait peur en effet, comme les paradis fiscaux, les clans des grands de ce monde et tout ce qu'on ne sait pas. C'est très très courageux à Roberto Saviano d'en avoir témoigné: il faut des gens comme lui, même si au final, on ne sait pas si ça change quelque chose et que lui-même clame son regret d'avoir publié le livre qui lui a pris sa vie et sa liberté. Je l'ai aussi acheté et il faut que je le lise. On ira voir le film ensemble :-)