vendredi 1 août 2008

L’anarchisme apocalyptique pour grand public

Voir un Batman s’annonce toujours comme une bonne aventure même s’il y eut quelques déceptions par le passé.
Tim Burton avait mis le bar très haut dans un style poético-gothique qui lui est propre et je ne pensais pas qu’on puisse me faire oublier la prestation de Jack Nicholson en Joker. Il est vrai que j’avais quelques années de moins en 1989 et que ce sourire dément m’avait effrayé. Alors quand on m’a dit, viens, c’est Batman contre Joker, je m’attendais à voir comme une sorte de remake avec plus d’effets spéciaux. D’ailleurs pour les effets et les techniques cinés c’est très bien fait.
Dès les premières images on comprend mieux que du budget il en a fallu. Mais Christopher Nolan ne se réfugie pas derrière de la synthèse ou de la pyrotechnique pour mettre une grosse claque au spectateur. Les mouvements de caméra sont très fluides et dynamiques mais arrivent tout de même à se poser (du moins avant le final) afin de dépeindre certaines émotions, parfois avec finesse. Pour résumer c’est un bon film, même très bon pour certaines choses. Je conseille vivement d’aller le voir même si ce n’est pas un film d’été type. On est bien loin de la légèreté de l’adaptation de certains comics. Il s’agit bel et bien d’un film noir, que l’on pourrait comparer aux films noirs de yakusas avec en plus un personnage exceptionnel et profondément immoral.
Le Joker est subjuguant. L’apparence tout d’abord, ce visage au maquillage ébranlé donne le ton. Il ne s’agit pas ici d’un méchant classique qu’on appréhende facilement et que l’on met dans la case des fous et c’est ce qui est le plus gênant au fur et à mesure que les rencontres entre les deux héros se multiplient. Il y a quelques scènes « marrantes » en effet mais ce n’est pas ce qui transparaît à l’inverse de celui de Tim Burton. On est au-delà de ça.
Le Joker est ici un véritable fléau, un virus qui veut bouger l’équilibre établi. Je n’irai pas dire que le personnage incarne un anarchiste pur comme ceux que l’on trouve dans la littérature classique tel Souvarine, car aucune idée de futur n’est évoquée ici mais un serviteur du Chaos en quelque sorte. Et ça n’arrête pas, de surprises en mauvaises surprises pour la Bat family, les expériences humaines imposées par le Joker se succèdent et on a du mal à croire que le réalisateur ne les ait pas voulu plus fructueuses et sans lueur d’espoir. La production a sans doute mis un gros bémol devant tant de mal affiché, cette gangrène semblant inarrêtable et a insufflé un soupçon d’héroïsme et de courage à des personnes lambda, pour que le spectateur ne sorte pas totalement déprimé de là.
En pleine ferveur du Patriot Act, il est intriguant de voir la capacité des Etats-Unis à soulever leurs problèmes avec pertinence mais à ne pas les traiter par la suite. Cette gangrène du Joker on peut la retrouver bien entendu dans l’attentat du 11 septembre mais aussi dans les phénomènes de tueries estudiantines qui se succèdent et qui surgissent en tout point comme une fatalité inaltérable. Et la foule hurlante voulant la peau du héros est une image peu reluisante des institutions américaines qui s’inscrivent dans la lignée du Maccartisme aveugle. Qui est le plus horrible, le joker duquel on ne peut rien attendre, le peuple qui finalement veut à tout prix sauver sa peau et qui n’hésite pas à méconnaître et lapider son plus grand défenseur, ou Batman qui ne dérogeant pas à ses valeurs propres est trop indulgent et naïf.
Ce film est donc particulièrement pessimiste pour un film hollywoodien, il est bien difficile de dire que le bien triomphe. Doit-on y voir le reflet d’un changement profond de société, une tentative de prise de conscience ou comme bien souvent outre-Atlantique un coup dans l’eau qui sera pris au premier degré et qui ne sera encensé que pour ses images spectaculaires et par le fait qu’il s’agit d’un film posthume pour un Heath Ledger largement oscarisable ? Un film remarquable par sa noirceur. Tout de même une nuance, le rythme de la dernière heure extrêmement soutenu est parfois à la limite du soutenable, mieux vaut y aller préparé et en forme.

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