mardi 11 mars 2008

La soif des 3 dimensions

« Démocratie d’opinion » et « financiarisation du capitalisme » d’une part et « gouvernance et éthique d’entreprise », « développement durable » et « politique de civilisation (1) » d’autre part … qu’ont en commun ces thèmes aujourd’hui en vogue ? Ils mettent à mon avis en avant deux choses primordiales :
- le constat d’une certaine forme de tyrannie du myopisme, de la compartimentation de la pensée et du superficiel
- une volonté de plus en plus forte pour une action politique et économique qui résulte d’analyses approfondies, globales et qui intègre un horizon de réflexion plus ambitieux.

La prise en compte des 3 axes suivants me semble en effet incontournable dans toute action politique ou économique :
- l’horizon temporel. Le manque de prise de recul et l’obsession du court terme me semblent en effet suicidaires.
- le champ d’analyse de la réflexion préalable à l’action. Toute action naissant d’une vision fragmentée des choses est vouée à l’échec.
- la profondeur de l’analyse. Il est évident que la superficialité d’une analyse ne permet pas une action judicieuse

Cela vous semble couler de source et relever du bon sens…et vous avez raison !

Pourtant, de nombreux exemples montrent :
- qu’une partie ou la totalité de ces 3 dimensions sont très souvent (volontairement ou involontairement) délaissées.
- que cette carence n’est pas sans risque et sans conséquence, non seulement pour ceux qui prennent les décisions mais aussi pour ceux qui en subissent les conséquences.
- qu’il ne suffit pas d’avoir en tête l’importance de ces axes pour mettre en place avec succès une action.

Notre environnement (au sens large) porte en lui un grand nombre d’explications de ce myopisme ou de cette carence intellectuelle, à savoir :
- des changements de plus en plus rapides (accélération des évolutions technologiques, versatilité des marchés financiers, etc.)
- une certaine insécurité (terrorisme, catastrophes climatiques)
- des exigences de résultats accrues et sur le très court terme, qu’il s’agisse des actionnaires envers les dirigeants d’entreprise pour dégager plus de rentabilité et plus vite ou des consommateurs français qui s’exaspèrent de la baisse de leur pouvoir d’achat.
Ce voile d’incertitude et d’insécurité et cette pression du résultat expliquent en grande partie le manque de prise de recul et les analyses partielles ou superficielles car celles-ci sont consommatrices de temps et d’énergie… Ce cycle vicieux doit cependant être brisé dans l’intérêt du plus grand nombre.

Sur la scène politique, l’actualité du PS français illustre cette situation. Certes, le PS séduit encore à l’échelle locale (grandes villes et régions notamment) et il aura peut être une nouvelle occasion de le démonter dimanche prochain lors du 2ème tour des élections municipales mais ces succès sont davantage dus à la capitalisation sur le rejet de la droite qu’à l’adhésion à un projet socialiste en France… et le manque de réussite au niveau national s’explique fortement par l’absence de leader ou plutôt la multiplication de prétendants, le manque d’une vision politique partagée et l’absence d’un réel projet de société. En d’autres termes, le PS souffre :
- d’un champ de réflexion réduit par l’existence de nombreux prismes ou biais de réflexion (culpabilité de celui qui « gagne de l’argent », obsession de l’égalitarisme, dénonciation systématique du manque de moyen sans réflexion sur l’optimisation des ressources, etc.)
- d’un manque de profondeur de réflexion. La communication, le symbolique et l’émotion ont largement été privilégiés par la dernière candidate aux élections présidentielles, au détriment « du fond » des propositions.
- d’une difficulté à projeter son identité et ses valeurs dans les 5 années à venir. Le manque de visibilité sur la coloration future de la gauche française le démontre : entre le rouge-vert-rose traditionnel, le rose-orange souhaité notamment par Ségolène Royal ou encore l’arc en ciel (c'est-à-dire la coalition rouge-vert-rose-orange) prônée par Julien Dray, la toile socialiste n’a pas encore choisi sa palette de couleurs.

D'autre part, les français n’ont rien à gagner à l’avènement d’un pilotage politique « la tête dans le guidon » ou plutôt sur les baromètres d’opinion et autres suivis des côtes de popularité dont les médias français regorgent (hebdomadaires papiers, internet et TV).

Aussi, le rapport Attali n’a pas eu, à mon sens, l’accueil qu’il méritait car pour une fois, il était le fruit d’un travail global, approfondi, collectif et intégrant la dimension temporelle de ses propositions ainsi que leur "mise en musique" opérationnelle… on regrette qu’il doive se heurter aux crispations corporatistes françaises (pharmaciens, conducteurs de taxis, fonction publique, etc.)

Sur le terrain économique, les questions relatives à la croissance et à sa mesure qui mettent en lumière le besoin de nouveaux indicateurs de richesse moins « étroits » que le PIB, qui prennent d’avantage en compte le bien être des citoyens et qui permettent ainsi d’évaluer l’impact qualitatif des actions politiques économiques, illustrent cette volonté de « mieux » contre la dictature du « plus » et « plus vite ».

On peut trouver d’autres exemples dans le monde associatif ou dans l’entreprise ou regarder au-delà des frontières hexagonales, par exemple du côté des primaires américaines qui signent l’apogée du marketing politique, l’omniprésence des spin doctors et l’utilisation prononcée des symboles émotionnels (élire un président « black » ou une femme pour la première fois).

J’espère que les thèmes de « gouvernance et d’éthique d’entreprise », « développement durable » et « politique de civilisation » ne resteront pas de beaux concepts mais qu’ils guideront l’action politique et économique des années à venir…

(1) Edgar Morin décrit l’impasse actuelle dans ces termes : « Ainsi, on peut dire que le mythe du progrès, qui est au fondement de notre civilisation, qui voulait que, nécessairement, demain serait meilleur qu’aujourd’hui, et qui était commun au monde de l’Ouest et au monde de l’Est, puisque le communisme promettait un avenir radieux, s’est effondré en tant que mythe. Cela ne signifie pas que tout progrès soit impossible, mais qu’il ne peut plus être considéré comme automatique et qu’il renferme des régressions de tous ordres. Il nous faut reconnaître aujourd’hui que la civilisation industrielle, technique et scientifique crée autant de problèmes qu’elle en résout. »

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