lundi 28 janvier 2008

La recherche sadique d’un monde idéal.

Je n’oserais m’avancer mais j’ai peur que beaucoup de jeunes soient aujourd’hui loin de connaître l'origine du mot sadisme, communément défini comme le fait d’avoir le goût pervers de faire souffrir.
Il n’est pas rare d’entendre parler de l’œuvre du marquis comme d'un ramassis de scènes obscènes et perverses d’une extrême violence, mais c’est, comme souvent, par des personnes qui se prononcent sans connaître. Je n’ai pas la prétention d'être un expert étant loin d’avoir tout lu, mais je souhaite rendre ici hommage à un ouvrage qui m’a profondément marqué. Un ouvrage qui, il est vrai, comporte moins de scènes violentes et qui peut être plus abordable que d'autres pour les non initiés.
C’est Camus dans l’Homme révolté qui m’a le premier donné l’envie de se pencher sur l’œuvre de cet homme hors normes. C’est bien de cela qu’il s’agit, d’aller au-delà des normes, dans le sillage des Lumières, Sade ne peut se contenter du monde d’injustices qui l’entoure et il nommera distinctement, jusqu’à la haine viscérale, ses coupables. Toutes les formes du pouvoir sont pour lui corrompues, qu’il s’agisse du pouvoir spirituel ou exécutif.

A l’aube de la révolution, enfermé à la Bastille, il ne peut que révéler toutes les aberrations qui fomenteront la révolution au travers des lignes de cet ouvrage épistolaire remarquable, Aline et Valcour ou le roman philosophique. L’histoire principale sert, comme dans tous les ouvrages de sa plume que j’ai eu l’occasion de parcourir, de prétexte à de nombreuses réflexions et envolées philosophiques, exposant les points de vue des personnages sous forme de réel dialogue post-socratique. C'est l'histoire d’un amour impossible dû à la main mise toute puissante d’un père despotique, haut fonctionnaire de la justice et libertin, pléonasme sous la plume de Sade. Un deuxième récit s'imbrique alors, l’histoire d’un couple d’aventuriers, qui, guidés par le hasard, se perdent dans le château des protagonistes de l’histoire principale et permet à l’auteur de retranscrire sa quête de la société idéale. Séparés par les convenances, les jeux de pouvoirs et d’argents, puis tombant sous les griffes des despotes les plus féroces, les deux jeunes gens pour se retrouver traversent le monde et les sociétés des plus exotiques aux plus cruelles. Ainsi Sainville tombera dans le royaume de Butua, une société anthropophage et où la femme est constamment humiliée et dénigrée, royaume qui suscite au lecteur une forte indignation. Ce ne sont que des sauvages ! Ils sont horribles ! C’est vrai, mais rien au regard de la vision qu’il donne des sociétés européennes du XVIIIe, perverties au possible par un pouvoir tyrannique et arbitraire où le mot justice ne sert qu’à assurer aux plus grands une toute puissance et un subtil plaisir à opprimer et avilir.
Ce roman, qui parait quelques fois fouillis est tellement riche qu’il est facile de s’y perdre, Sade ballade avec virtuosité ses héros dans toutes les régions possibles et inimaginables, Europe, Afrique, Moyen-Orient, gitans, nobles, gens de robe et d’église. L’apogée du raisonnement utopique est sûrement le voyage dans l’île de Tamoé, gouvernée par le seul qui restera sage jusqu’à la fin, Zamé. Est-ce réellement là la vision d’un monde idéal par Sade, ou plutôt le constat que cette société si parfaite n’est qu’une illusion qui n’aurait comme lieu unique qu’une île imaginaire. Pendant tout le chapitre consacré à Tamoé, je m’attendais à voir les limites de ce mode apparaître, hors finalement très peu de choses valables s’opposent à tous les principes qui assurent une égalité ultime à tous les citoyens. L’organisation paraît tellement implacable que je peux soupçonner Sade d’avoir cru à ces théories, d’y avoir adhérer et d’en avoir regretté l’impossibilité en nos sociétés. Il en est de même des valeurs défendues par Brigandos, chef d’une famille de gitans, qui ne vivent que de délits condamnés par l’ordre établi mais qui sont les seuls à faire preuve d’une justice équitable, défendant des valeurs communes à l’humanité entière. C’est la vie, et le droit à chacun de la défendre et de la donner que Sade défend contre toutes les instances despotiques qui sont anti-naturelles, car oppressantes.
Sade n’était pas un libertin mais bel et bien le plus grand défenseur de la liberté en cette fin de siècle. Je crois réellement qu’il serait bon de le relire alors que sans y paraître d'obscurs acteurs économiques et politiques assurent leur main mise sur la prétendue liberté de chacun.
Que dirait Sade aujourd'hui de notre société capitaliste et de notre gouvernement super-star ? Mieux vaux qu'il n'en sache rien, cela le jetterait dans l'abîme du désespoir.

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