Histoire de Rien – 4 – Nouvelle - Fiction
Je me disais que
si lui ne pouvait pas savoir d’où je venais, il ne subsisterait que peu d’espoir pour moi dans cette quête.
J’avais essayé plusieurs techniques, passant par des docteurs, des
scientifiques afin de retrouver cette mémoire qui me faisait tristement défaut.
Sans succès hélas. Donc avoir l’homme dit le plus puissant du monde sous la
main me paraissait imparable. J’ai donc assisté à plusieurs meetings de sa
campagne élective. Comme je le disais l’ambiance était chaleureuse, personne ne
portait de masque, on se prenait dans les bras après de très longs
applaudissements liés à je ne sais trop quoi. Je ne comprenais certes pas toute
cette langue, mais les émotions étaient bien présentes. Il y eut beaucoup de
hués également, les gens paraissaient s’accorder sur le sujet. Je n’ai posé
aucune question.
Et puis la foule
aidant, au fur et à mesure je me suis rapproché de l’équipe. Sans faire de
bruit je fus comme accepté dans le décorum. J’étais étonné, moi qui avait tant
entendu sur la sécurité et tout plein de choses. J’étais là, présent avec eux
et je me voyais promettre l’accès à la Maison Blanche. Donald Trump hors caméra
passait sa vie à dormir affalé dans un fauteuil, j’aurais bien aimé lui poser
dans questions mais ça n’était jamais le moment. Et à un moment il y eu une
réunion avec tout plein de nouveaux. Ils étaient tendus, certains portaient de
beaux uniformes, Donald n’avait pas l’air en forme. Il annonçait qu’il était
malade. Voilà bien ma veine, alors que j’étais proche du but, voici l’homme le
plus puissant de cette planète qui a un passage à vide. Pourtant je le voyais
dormir comme d’habitude, pas plus, pas moins. Je trouvais exagéré que certains
ne le traitassent avec autant de distance, venant masqués au bureau et dans les
appartements. Il me fallut donc quitter ce lieu de pouvoir qui me promettait
tant. Après avoir pérégriné encore dans les pays des libertés personnelles et
du rêve, me voici donc à rentrer vite en Europe. J’évitais l’Asie depuis un
petit moment même si mes premiers souvenirs s’y trouvaient et quelle ne fut pas
ma surprise de trouver à nouveau ce monsieur à l’air d’extraterrestre et ses
sbires faire des annonces anxiogènes. Voilà, j’étais parti plutôt
tranquillement, et à mon retour je trouve des pays qui décident une nouvelles
fois de se priver de leur humanité. Car je ne sais si dans ma vie d’avant
j’étais un habitué des cafés mais c’est une invention quasi divine. Un lieu,
hors propriété individuelle où des personnes de différents milieux, avec
différentes histoires peuvent échanger, se connaître, créer des liens, modérer
leur véhémence résiduelle liées aux déceptions de la vie. Et me voilà à peine à
prendre un café avec quelques nouvelles connaissances, qu’on me met dehors, la
voix désolée, déçue, les larmes aux yeux.
J’aurais eu envie d’aider ce monsieur, aux tempes grisonnantes, aux
rides profondes, et aux bras de camionneur qui est venu dire à la table que la
tournée était la dernière, mais pas la dernière de la journée, la dernière tout
court, qu’il jetait l’éponge, et pourtant il ne se trouvait nullement à la
plonge à ce moment précis, qu’il avait assez de dette pour déshabiller ses
enfants pour toute leur vie. Nous sommes donc partis sans payer, la parole
troublée.
C’est beaucoup
moins drôle de marcher devant ces devantures qui donnent du souffle aux villes,
qui sont autant d’îlots d’espoir que des écueils de désillusion. Mais voilà,
ils semble que je ne connaisse que des pays en tension. J’aimerais bien me
souvenir de temps plus heureux, moins inquiets. Car les dernières discussions
que j’ai pu captées dans le café tournaient autour du sujet, si j’ai bien
compris les gouvernements, sans doute sous le joug d’une domination
extraterrestre ou juive, les deux messieurs moustachus qui discutaient au
comptoir n’étaient pas d’accord avant que le serveur ne vint les mettre
d’accord leur disant que c’était sans doute la même chose et qu’il ne cite Al
Quaïda et les Chinois, prennent la décision d’empêcher les enfants et les gens
de vivre normalement et donc de préparer les générations futures afin de
protéger les plus vieux qui ont déjà un pied dans la tombe. Et à ce moment ils
se sont tournés vers un certain René, un vrai vieux, qui tient debout
essentiellement grâce à la résistance qu’offre le flipper à son dos qui ne
cesse de vouloir s’évader en arrière. René s’exprima, enfin il me parut qu’il
grommela : « M’en fous moi, je préfère sucer des bites que porter un
masque, et quand j’étais jeune j’ai plusfgeoajgoeaj greugmaosnfz […] pas peur
moi ! »
Je me demande ce que fait René aujourd’hui, seul chez lui. Au moins au café, il n’était pas seul et les serveurs qui le connaissaient bien arrivaient à le modérer, le rasseyait par moments et finalement confessaient aux autres clients que le whisky coca devenait du coca seul au fur et à mesure de la journée, déplorant certes qu’il ne puisse trouver le sommeil à cause de la caféine. L’un avait essayé une boisson décaféinée et René l’avait craché directement. Pauvre René, j’espère qu’il s’effondre au moins sur son canapé.
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