Histoire de Rien
– 5 – Nouvelle - Fiction
Mes premiers
souvenirs sont assez glauques il faut l’avouer. J’étais sans doute prisonnier
dans une base militaire. Je ne me souviens rien avant cette étrange chambre
bétonnée, il y avait des bruits, des sons, des gens s’affolaient, du verre
brisée sur le sol, des animaux, le chaos. J’imaginais qu’il y avait eu une
lutte, en étais-je le responsable, étais-je un espion infiltré, je ne
comprenais rien aux échanges verbaux dont le ton était particulièrement
agressif sans équivoque. Heureusement j’ai rapidement pu m’échapper, j’ai suivi
un des employés jusqu’au bas de son immeuble. Je ne savais que faire mais je me
suis convaincu que je ne pouvais qu’être poursuivi par ceux que j’avais entrevus.
Je me suis donc instinctivement mêlé à la foule. Il y avait un monde
exceptionnel, des hommes, des femmes, des enfants, des animaux. J’ai réussi à
vivre plutôt paisiblement plusieurs semaines. Je commençais à me détendre quand
la folie a gagné la ville. Depuis ce jour j’ai l’impression d’être poursuivi
par un nuage gris, tous les chemins que j’emprunte semblent se ternir, les
portes se fermer, la population s’inquiéter. Il m’est passé par la tête il n’y
a pas si longtemps que je devais avoir ma part de responsabilité dans tout cela.
Et puis j’ai trouvé que ce serait tout de même trop pédant de penser que je
puisse avoir une quelconque part de responsabilité à cet étage. Vu l’étendue
des dégâts, c’est incroyable. Heureusement certains sont là pour me décrire la vie
d’avant. Comme certains disent c’était bien cool. Ce qui m’inquiète c’est que
longtemps je voyais tous ces hommes et femmes être persuadés que ce ne serait
histoire que de quelques semaines, je m’en réjouissais et j’avais hâte que
comme ils disaient la vie ne reprenne.
Aujourd’hui les
gens ont peur, peur de tout, de leur ombre aussi. Peur de perdre et de ne
savoir comment garder un certain honneur. On leur dirait de mettre une plume
dans les fesses qu’ils le feraient certes à contrecœur, mais ils le feraient.
J’entends beaucoup de mots dont je ne connaissais pas l’origine mais dont j’ai
appris la triste provenance, fascisme, totalitarisme. C’était en 1984 si j’ai
bien compris, je n’étais pas né, enfin je ne m’en souviens plus et ce serait
improbable, je ne me vois pas si vieux. A ce moment le masque n’était pas
obligatoire mais le peuple devait se soumettre à des décisions au mieux
incohérentes et dans tous les cas liberticides. Heureusement ce n’était pas
partout. Il y avait des havres de paix. Aujourd’hui c’est plus restreint, et les
décisions semblent débiles pour la plupart de ceux que je croise. Ils ne font
rien. Ils sont désœuvrés, attendent, se mortifient au fur et à mesure. Ce n’est
pas dans ce climat que je vais faire de nouveaux liens constructifs qui vont
pouvoir m’éclairer pour ma recherche.
Alors certains se
replient sur des pensées ou des passions plus personnelles, il reste la poésie
et l’art. C’est assez chouette, on peut encore voyager. Et il est vrai qu’il
n’y a pas forcément besoin de venir user de ses chaussures toutes les places du
monde pour les parcourir. Pour certains habitants l’environnement direct
s’améliore, pourtant ils ne le voient pas, ils n’ont plus de revenus. Tout ce
qui était basé sur un échange d’argent entres les habitants de différents pays
a disparu, du coup certains ne tiennent plus. Je suis rapidement passé à
Venise, c’est tellement beau. Il paraît qu’il y a trop de monde normalement
mais là c’était mort comme disent certains. Cette eau, ça calme. Et puis ces
canaux partout, un vrai labyrinthe, avec de l’eau devenue claire dans laquelle
on peut voir des poissons. Un certain état de nature qui semble se réjouir des
troubles humains, enfin en partie, car ce n’est qu’un point de vue. Pour ma
part je me sens toujours perdu, je n’ai que des souvenirs étranges, et de cette
nouvelle période.
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