mardi 28 juin 2011

De la tradition que c’est bon - un soir chez Bocuse

Un périple lyonnais m’a amené chez le fameux Paul Bocuse. Parachevant un itinéraire de 9 étoiles, ce clou du spectacle gastronomique s’annonçait mythique certes, mais les réserves de certaines personnes y étant allé récemment m’avaient mis sur la (fausse) piste d’un restaurant ne devant ses trois étoiles qu’à son passé et à l’éminence qui la dirige toujours. Et bien même si j’ai compris qu’il puisse être émis quelques réserves sur l’un ou l’autre point, il s’agit bien d’un endroit magique dans lequel on se laisse entraîner avec joie, les papilles s’épanouissant et la gourmandise prenant le dessus.
Le cadre extrêmement chargé, la cuisine en face de l’entrée et de l’escalier dont on entrevoit les cols bleu blanc rouge au milieu des cuivres imposants, ainsi que le nombre d’employés pharaonique impressionnent. Dans certains restaurants on a vite l’impression d’être comme à la maison, là pas du tout, on est bien chez Paul Bocuse, les services, les couverts, tout est imprégné de cette légende vivante. Ne comptons pas sur les limites potentielles que voudraient nous imposer notre estomac nous nous lançons dans le menu grande tradition. La fameuse et médiatique Soupe aux truffes VGE finissant de nous convaincre. Le premier plat, une grosse sensation, comme diraient certains critiques, on est sur une cuisine extrêmement gourmande. L’escalope de foie gras de canard poêlée au verjus est sublime, un fondant, une douceur, miam, ça me fait encore saliver. Certes les critiques pourraient dire qu’il n’y a rien de spécial dans ce plat, que le foie gras poêlée c’est vu et revu, et alors ! Si c’est bon, si c’est dans un certain sens la source d’un style, pourquoi changer.

Certains cuisiniers parient sur l’évolution, en ce qui concerne Bocuse on est sans doute plus sur un type d’ACDC de la grande cuisine, après avoir défini les bases toujours le même style depuis 40 ans (et plus pour Bocuse) mais c’est tellement bon. La soupe aux truffes VGE était une vraie surprise gustative n’ayant jamais eu l’occasion de gouter ce type de soupe puissante et recouverte d’une pâte feuilletée. Alors qu’y a-t-il dedans, pas évident de tout deviner, foie de veau ou foie gras ? Nous resterons avec mon ami chacun sur nos points de vue. Pour la truffe noire, pas de doute, on la sent, ce qui permit la plus belle association avec le Côte Rotie de chez Jamet. Un vrai régal. Evidemment ceux qui aiment manger une feuille de salade et quelques petits légumes à l’huile d’olive quand il fait plus de 25° dehors devront repasser en hiver. La sole avec ce beurre blanc légèrement grillé à la salamandre un régal jusqu’à n’en plus laisser une goûte de sauce même si j’avais conscience d’avoir déjà englouti ma botte de beurre. Pour le diététique on repassera aussi. A ce stade la faim vous quitte, mais l’enchantement continu. La volaille de Bresse cuite en vessie captive dès son arrivée, tel un ovni ovoïde au milieu des plats d’argent. C’est peut-être ici que le ravissement gustatif fut moindre, mais c’est sans doute en partie du au fait qu’estomac et palais ne sont plus habitués à tant manger. Cependant un accompagnement de sauce aux morilles sublimes, des petits légumes à la perfection et une viande ferme et savoureuse.
La fin n’est sans doute pas ce qui m’a laissé le plus gros souvenir. Le plateau de fromages affinés par la mère Richard recèle certaines perles comme le Saint-Marcellin, le Saint-Nectaire, mais il est vrai qu’on pourrait s’attendre à ce qu’il soit un peu plus garni. Pour le dessert, le système de buffet fait s’animer une multitude de serveurs à tout moment et est l’acteur principal du balais de fin. Hélas il est difficile de juger car inhumain de tout goûter. Et finalement pourquoi juger, mais les choix pourront en frustrer certains. La crème brûlée, les fruits, glace vanille, tartelette aux fraises des bois valent le détour. Le reste demeure une motivation pour revenir.
Ce fut un grand moment avec de grands plaisirs. Plus qu’une envie, goûter le reste de la carte.

mercredi 9 mars 2011

Alain Ducasse au Plaza Athénée : un carnaval de saveurs.

Il y a des moments qui se veulent rares, se rapprochant de la perfection, allant jusqu’à effacer cette limite. La chance m’a été offerte par mes amis de me rapprocher des étoiles culinaires et même si j’avais pensé au départ attendre les trois dégustations proposées pour m’épancher sur ces restaurants gastronomiques triplement étoilés les sensations exceptionnelles que m’ont offert ces moments sont trop impatientes de se voir figées pour ne pas disparaître en un tout mirifique. Me voici donc dans le lobby du Plaza Athénée, célèbre palace parisien, situé dans un quartier semblant préservé de la pauvre réalité par des murs invisibles, mon oeil d'anthropologue novice n’en revenant pas devant les styles si volontairement originaux et parfois ridicules. Pardon l’on dit fashion, la semaine de la mode de Paris ayant sans doute contribué au remplissage de l’établissement hôtelier et ayant dû accentuer le phénomène.
Histoire de pipeauter quelques bémols, le restaurant 3 étoiles du célèbre Alain Ducasse est situé au coeur d’un hôtel ce qui donne moins d’authenticité aux premières impressions qui s’offrent au visiteur. L’endroit fameux en ravira d’autres, histoire de goût, enfin pas encore. Une fois dans la salle, un double sentiment envahit, celui du luxe devant cette haute salle, véritable joyau doré aux lustres de cristaux éclatés, et de raffinement avec cette présentation devenu depuis 2010 et le changement d’angle beaucoup plus minimaliste. Sur la table se dévoilent une assiette oeuvre d’art et verre à eau. Je ne vais pas passer toutes les étapes en revues histoire de préserver les surprises aux prochains aventureux mais l’impression générale de ravissement à chaque étape en devient persistante, dessinant un large sourire indélébile, pouvant passer pour un état d'ébriété alors qu’il s’agit d’un enivrement inscrit sur le visage du convive.
Le service est bien entendu impeccable et sympathique. Le serveur s’occupant de notre table prenant le temps de nous expliquer et les plats et la démarche esthétique et culinaire de l’ensemble allant jusqu’à nous offrir de jeter un oeil à la cuisine et l’arrière salle. L’ensemble est extrêmement bien huilé, les amuses-bouches, les entremets et les plats s’enchaînent jusqu’à la toute fin. Nous nous sommes laissés guidés sur le vin et je n’ai donc pu évaluer la profondeur de cave dont je ne doute cependant pas vu ce qu’il en est dit par ailleurs. Sur la carte on retrouve des plats qui frappent par leur apparente simplicité. Pas de termes galvaudés en ligne avec cette volonté de servir une cuisine brute, sans fioriture, consacrant le produit.
Quelques musts sont proposés dans la section héritage comme le pâté chaud de pintade truffé, sublime avec son jus qui vient relever cette magnifique composition. La différence de textures, la cuisson parfaite des différentes parties, le croustillant de la pâte, miam miam miam. La suite fut du même niveau, le homard pommes de mer en cookpot, tout simplement sublime. Deux plats extrêmement racés aux goûts puissants et charmeurs. Le plateau de fromage, malgré sa cloche impressionnante, pourrait être plus garni, autre léger bémol compensé par cette petite brioche à la mascarpone et à la truffe en accompagnement. Je passe sur les mignardises pour le final, le baba au rhum où l’on vient vous faire une dégustation de rhums de haute volée, certains tourbés, d’autres finis en fûts de pommards, pour la plupart aussi âgés que moi afin de choisir celui qui viendra sublimer, accompagné d’une crème vanillée, le baba.
Cette recherche du produit juste et excellent afin de la consacrer dans l’assiette sans le dissimuler par trop d’artifices est une réelle réussite. Un moment de bonheur, de pureté gustative qui tend vers la perfection.

lundi 21 février 2011

Des éclairs de génie

Des éclairs de Jean Echenoz est annoncé comme la clôture de la trilogie dans laquelle il se fait le récit de trois existences connues, remarquables et à la fin tragique. Trois génies et tragédies, Ravel, Zatopek et Tesla, qui n’ont à première vue pas grand chose en commun sauf leur fin, ont donc été l’objet des trois derniers livres d’Echenoz : Ravel, Courir, Des éclairs. De ceux-ci seul Courir m’a échappé, ainsi le rapprochement que je peux en faire ne concerne pas l'ensemble du triptyque mais son début et sa fin.

Gregor, héros de l’ouvrage est le double échenozien du célèbre mais souvent mal connu inventeur serbe Nikola Tesla que l’on suit au travers de ses découvertes rocambolesques. Cela fait de ce livre un roman instructif. Me rappelant vaguement de l’unité Tesla pour la mesure de champs électromagnétiques, je n’en connaissais pas grand chose d’autre. Qu’il s’agisse du développement du courant alternatif, de l’invention de la radio, du radar, même du laser, cet inventeur semble être dès les premières pages un inventeur de génie, étant celui qui fit basculer, travaillant alors chez Westinghouse, les Etats-Unis vers le courant alternatif plus pratique au dépends du courant continu d’Edison, trop contraignant et moins fiable. Ce dernier allant par rage démontrer les dangers de ce courant alternatif sur l’homme en créant ce qui s’avérera être la première chaise électrique. Il est fascinant de voir que l’un des outils des massacres légaux le plus utilisés n’ait été à la base qu’un contre argument marketing, ne voulant pas vanter le côté humain car peu douloureux de l’arme de la mise à mort comme le fit Guillotin, mais voulant prouver l’atrocité de l’effet du courant alternatif sur l’homme. Il est d’ailleurs révélateur pour l’histoire des Etats-Unis que cet outil de massacre et de torture ait été le moyen de mise à mort le plus répandu pendant un siècle, avant de céder place peu à peu à un procédé plus clinique, l’injection létale.
Concernant la trajectoire du héros, elle est, comme le sont souvent les sujets de ce type d'ouvrage, triste et tragique. Sans doute les héros épanouis finissant dans le bonheur ne laissent que peu de place à l’interprétation de l’auteur et sont donc moins choisis comme matière à romancer, à moins qu’ils ne soient tout simplement moins nombreux. Dès le départ, on sent que Gregor ne vit pas pour être heureux, il est animé par l’excitation de la découverte, agissant plus comme un Dom Juan de l’électricité, développant un concept, déposant un brevet à la va-vite puis passant à autre chose, sans doute pour atteindre un but quasi impossible, maîtriser l’énergie universelle et l’amener à la disposition de tout un chacun gratuitement, voulant réaliser une action digne d’un dieu. Projet vu du mauvais oeil de ses industriels contemporains, et qui le serait toujours aujourd’hui, condamnant les marchands d’énergie.
On espère à chaque page que Gregor va s’épanouir, s’ouvrir aux autres, montrer du bonheur, et rien, le tragique le poursuit et l’auteur qui le décrit avec un ton le plus souvent compatissant mais parfois condescendant, semble ne pas vouloir le sauver même pour le bien-être du lecteur. Confirmant que l’ennemi n’est ici pas la maladie, comme ce fut le cas de Ravel qui dut céder à une déchéance mentale et physique, mais est en lui même. Les scènes de fin sont d’ailleurs pour moi trop longues et trop marquées, alors que quelques pages auraient suffi à nous faire comprendre cette fin tragique. L’auteur reste respectueux de son sujet et ne devient étrangement familier que par deux moments qui ne sont pas dans le ton de l’ouvrage et sont les seules imperfections de cet ouvrage froid et mélancolique (moments de l’appétit sexuel et celui de l’exaspération face au pigeons).
Pour ceux qui ont lu Semmelweis de Céline, vous y trouverez des similitudes marquantes et des destins que l’on peut rapprocher de par le côté précurseur, révolutionnaire et mal aimé des défenseurs des dogmes. J’avais été emballé par Semmelweis, ici un peu moins sans doute à cause de la possible redondance du propos, cela reste néanmoins un ouvrage instructif et efficace.