J’ai très récemment réussi à clarifier ma pensée et à la synthétiser grâce à cette distinction simple entre absolu et relatif. Si je dois résumer mon chemin d’électeur de la dernière année il fut essentiellement centré sur une préoccupation, celle que l’on parle de l’avenir durable de notre environnement et donc je ne me suis longtemps posé aucune question sur le candidat à qui j’allais donner mon vote au premier tour des élections présidentielles françaises. J’allais forcément voter pour le parti le plus avancé en matière d’écologie, et comme le Port Salut, c’est marqué dessus, le parti EELV – Europe Ecologie Les Verts, et cela bien avant qu’il n’y ait un débat, une primaire. Et puis il y eut, il y a un peu plus d’un an je crois, cette initiative extrêmement noble de la primaire populaire. Si certains n’ont vu qu’un délire de gauchistes joueurs de djembés, je tiens à préciser qu’il s’agit d’un idéal, l’idéal de la république même selon Aristote. Vous me permettrez de ne pas me replonger dans mes cours de philos ni dans de vieilles lectures mais ce que j’en ai retenu est que le système politique idéal ne repose notamment non pas sur une élection des gouvernants mais sur une désignation par les électeurs (certes la notion d’électeur dans la Grèce antique était bien différente de celle d’aujourd’hui) des meilleurs gouvernants possibles. Ce système de désignation évitant les pressions et manipulations des candidats. Mais, l’histoire l’a montré, ce système n’a presque jamais pu être mis en place, et s’est développée son aliénation, le système démocratique, imparfait donc mais tout comme l’est l’être humain. Cette désignation populaire a donc suscité mon intérêt et ma grande naïveté m’a rendu déçu de voir que les candidats auto-proclamés n’y adhéraient pas. Et puis le temps est passé, cette initiative n’a abouti que trop tardivement et ne fut suivi par aucun des candidats déclarés. Pourtant cela aurait pu donner une chance d’avoir un deuxième tour différent de celui qui nous est infligé aujourd’hui car cette initiative avait la vertu de rassembler les électeurs.
Perdu dans le non-débat je n’avais que peu d’idées pour qui voter réellement et je n’avais que peu d’espoirs d’échapper au deuxième tour dramatique que le passé nous avait déjà proposé il y a cinq ans et qui semblait cette année plébiscité par les leaders d’opinions et dans les sondages. Dans la dernière semaine, les défenseurs d’un avenir durable pour tous se sont mis d’accord pour voter une même personne. Cette personne fut Mélenchon qui échoua malgré tout à rassembler assez de voix pour faire vaciller la prédilection d’un duel droite libérale et extrémiste qui se dessinait. Devons-nous nous poser la question de la légitimé des sondages dans une période pré-électorale tant ils furent éloignés ? Je ne jette pas la pierre mais il nous est déjà délicat de prédire avec précision le temps du lendemain malgré de nombreux instruments de mesure, alors dire ce qu’il se passera dans la tête des électeurs d’un point de vue rationnel puis prévoir le biais irrationnel qui y succède seul dans l’isoloir relève de la gageure. Si c’est mission impossible, ne devons-nous pas regretter l’influence de ces sondages sur l’opinion publique, Mélenchon à 10% peu de temps avec l’élection. Ce duel Macron et Le Pen, en plus d’avoir déjà eu lieu était encore plus normalisé par son évidence selon les différents sondages d’opinion.
Comme je l’ai écrit dans mon billet précédent, j’ai eu la gueule de bois le lendemain du premier tour. Même si mes espoirs étaient limités, j’ai eu cette petite lueur qui disait et pourquoi pas ? Et l’on connaît la suite. Il y a cinq ans je m’étais juré de ne plus jamais voter contre, mais seulement pour un candidat. J’avais voté Macron au deuxième tour à contrecœur, les sondages le donnant encore en début d’après-midi du deuxième tour 2017 en tête avec seulement un ou deux points d’avance, je m’étais résigné, avais pris ma voiture pour me rendre au Heysel, les enfants avaient joué devant cette structure improbable qui allie des énormes boules de métal, Atomium appelée. Et moi je les avais. J’ai marché dix minutes avec cette conscience harcelée par la réalité de l’acte que j’allais commettre, voter pour un candidat à l’antipode de mes valeurs (Macron donc, je clarifie pour ne pas être taxé de je ne sais quoi, mon expression devenant je le sais de moins en moins compatible avec les habitudes de lecture de la majorité) et le vote obligatoire, le vote évident, le vote contre le représentant de tout ce contre quoi j’ai pu me prononcer et me battre dans ma vie personnelle et intellectuelle. Macron fit 66% au final, j’avais l’impression d’être une dinde à Thanksgiving.
Cinq années se sont écoulées. Je ne ferai pas le constat de ces années car ce ne serait pas en faveur de celui qui doit malgré tout récolter le plus de voix au second tour prochain. Convaincu de ne jamais voter Le Pen bien entendu je ne voulais donc pas me faire prendre à nouveau dans ce jeu du vote pour Macron une nouvelle fois. J’avais la certitude qu’il ne pouvait pas ne pas être élu même si sur ce coup j’imaginais plus 55% des votes exprimés en sa faveur. Un écart plus faible dû à l’abstention dont la mienne. Même si je considérais Le Pen comme hors de propos, je me rassurais en me disant que même si par le plus grand malheur elle devait passer, jamais elle ne pourrait gouverner car passer aux prochaines législatives de 4 députés à plusieurs centaines est tout simplement impossible.
Je me suis plutôt bien senti avec ce choix pendant plusieurs jours et puis finalement en réfléchissant des mots comme 49.3, dissolution, vote majoritaire des policiers pour le FN, etc sont apparus et mes certitudes se sont effritées (j’entends certains penser normal t’habites en Belgique). Je n’ai sans doute pas beaucoup de qualités valables dans ce monde où l’égoïsme et l’individualisme sont à leurs apogées, mais l’un de mes traits de caractère est que je n’hésite pas à me remettre en question (alors là certains - ou plutôt certaine – vont grincer des dents, moi aussi je t’aime), tout comme mes choix.
En voyant le nombre de personnes autour de moi déclarant également fièrement qu’elles allaient s’abstenir le fameux questionnement à la « what if ? » a opéré. Et si je ne vais pas voter, et si Marine Le Pen est élue, et si elle trouve un biais constitutionnel pour avoir la possibilité de gouverner à un moment ou à un autre, et si la France relançait la mode fasciste en Europe de l’ouest, et si … Le malaise, la nausée se sont emparés de moi au moment même où je prends dans la boîte aux lettres les deux enveloppes sur lesquelles est inscrit le mot URGENT. A chaque fois, j’éprouve une petite émotion, peut-être quelque chose de sensationnel qui va changer ma vie ?, comme quand on reçoit un avis de passage pour un recommandé avec accusé de réception … Il ne s’agissait que des tracts de campagne pour le deuxième tour. J’ouvre celui de Macron et je lis la page de droite en premier, je suis surpris de voir qu’il se compare à l’autre, je trouve ça maladroit et même dangereux car la crédibilisant comme candidate présidentiable. Et là je réalise que ce tract est du niveau de celui d’un candidat indépendant sans le sous à l’élection municipale d’un village de cinquante âmes. C’est quoi cette typo ? Manu tu l’as donné à un stagiaire de troisième cette conception, non mais vous jouez à quoi les gars ? J’ouvre donc le tract de l’autre et en plus de le trouver plus structuré et esthétique je vois avec stupeur qu’elle a eu recours à l’arme ultime.
Une photo d’elle avec un chaton. Ça vous paraît anodin ? D’un point de vue rationnel c’est un signal envers les personnes qui sont pour le bien-être animal et quand on sait que Macron est élu grâce aux plus de 70 ans (sondage Ipsos sortie des urnes du premier tour qu’on peut trouver sur elucid.media) et que dans cette population le fait d’être seul avec un animal de compagnie est assez fréquent, on peut imaginer que la candidate d’héritage idéologique fasciste vise ces mêmes électeurs.
Et si on passe à l’irrationnel la menace est encore plus grande, quelles sont les vidéos qui récoltent le plus de « like » sur internet ? les vidéos de chat ! Qui sont les véritables maîtres du monde ? Ceux qui ont, ou ,ont eu un chat, ou ont vu ce film Comme Chiens et Chats, en sont bien conscients. Du coup je me suis senti en proie au doute le plus profond, comment faire face à cette arme absolue du chaton tout mignon ? Et bien sans doute aller voter. Mon inconscient espérait sans doute que le débat soit un bis repetita de celui d’il y a cinq ans et que la candidate qui apparut dans le passé en photo bras dessus bras dessous souriante avec un ancien nazi (je ne parle pas de son père mais un véritable qui fut bien actif pendant la seconde guerre mondiale) se vautre lamentablement ce qui aurait pu me dispenser d’aller voter devant l’incrédulité qu’elle aurait pu susciter au sein même de ses partisans. Mais non … elle n’a pas été brillante c’est certain, comment pourrait-elle l’être, mais si on compare à il y cinq ans elle a été bien meilleure. Certes les journalistes disent que c’était haut la main pour Macron, peut-être si on fait attention aux détails, à la consistance des propos, mais je ne pense pas que ce débat puisse faire basculer le vote des électeurs. Les partisans ne changeront en rien leurs intentions, et Macron n’a créé aucune surprise qui pourrait lui permettre de rallier les abstentionnistes.
Tout cela pour dire que je vais devoir acheter une bassine. Tout cela pour dire que je vais avoir la joie de me rendre au Heysel ce dimanche, d’affronter peut-être comme la dernière fois une armée de Pikachus ou de ninjas (salon Made in Japan lors du premier tour), que je vais donc choisir le bulletin de celui qui me dégoute comme homme politique dans l’absolu. Mais si on passe au jugement relatif, il n’y a aucune hésitation, je ne veux absolument pas qu’une femme devienne présidente de la France <- Blague pour voir si vous suivez jusqu’au bout.
Maintenant sérieusement -> il n’y a pas moyen que l’extrême droite puisse gouverner la France, même quelques jours, le danger et le chaos imminent sont trop grands.
Chacun fait ce qu’il veut et ce qu’il peut.
Mais comme je peux, je ferai ma part ce dimanche, et mettrai le bulletin de Macron dans l’enveloppe tout en rêvant de législatives bien différentes dans un mois.